L’armée allemande admet que son fusil standard tire de travers

« À vendre : fusil français. État neuf, jamais servi, lâché au sol une fois en 1940. » L’humour des Allemands sur la France, riche en allusions à la seconde Guerre Mondiale, c’est un peu comme un expresso de distributeur automatique. Bien noir, âcre et qui pique la gorge. Et pourtant, c’est plutôt l’armée allemande qui fait sourire aujourd’hui.

Un HK G36, un des fusils incriminés. (photo flickr/Dirk Vorderstraße)
 Un HK G36, un des fusils incriminés. (photo flickr/Dirk Vorderstraße)

Le 22 avril, la ministre de la Défense Ursula von der Leyen a annoncé « qu’en l’état actuel des choses, le fusil HK G36 n’a plus sa place dans l’armée allemande ». Et pour cause, elle s’appuie sur plusieurs expertises assurant que le fusil de Heckler & Koch qui équipe l’infanterie de la Bundeswehr supporte très mal les températures extrêmes et la surchauffe. Composé principalement de plastique et de fibre de verre, ses performances peuvent s’altérer au point de tirer (très) à côté de sa cible. Les rapports indiquent que la précision peut tomber jusqu’ à 7% dans des conditions extrêmes, et que le tir peut dévier de 50 cm à des distances qui ne devraient poser aucun problème à un soldat entraîné.

Si un nouveau conflit devait éclater en Europe, il faut croire que la 7e Compagnie et autres Bidasses seraient cette fois-ci de l’autre côté du Rhin, tant la Bundeswehr accumule les déboires. En septembre 2014, elle annonçait que seuls 80 de ses chasseurs et 41 de ses hélicoptères étaient opérationnels… Sur un parc de 198 avions et de 190 hélicoptères. Et au mois de février, la chaîne allemande ARD a révélé que faute de vraies mitrailleuses à fixer sur ses véhicules, un bataillon rattaché à l’OTAN (et donc mobilisable en cas de crise) s’entraînait avec des imitations en bois !

Cela amuse beaucoup Der Postillon, le cousin allemand du Gorafi qui titrait le 22 avril « Le concepteur du G36 essaie depuis plusieurs jours de se suicider avec son fusil ». Un peu moins les familles des 57 soldats que l’Allemagne a perdu en Afghanistan. Car le doute est désormais inévitable : auraient-ils pu s’en tirer avec des fusils vierges de tout soupçon ?

Premières critiques en 2011

La question est d’autant plus embarrassante que le problème a mis une éternité à être reconnu. Le fusil d’assaut HK G36 est utilisé par l’infanterie allemande depuis 1997 et a été depuis acheté à 167 000 exemplaires par la Bundeswehr. Entre temps, l’Allemagne est intervenue dans des zones où les conditions climatiques peuvent éventuellement aggraver les problèmes de surchauffe : l’Afghanistan entre 2001 et 2014 et le Mali depuis 2013, bien que dans ce cas, les troupes dépêchées par l’Allemagne restent pour l’instant des unités non combattantes. Le problème est pourtant connu de longue date. En 2011, l’armée allemande avait déjà dénoncé les défauts du fusil. L’année suivante l’armurier Heckler & Koch avait dû monter au créneau pour défendre les qualités de son arme, alors que le magazine allemand Der Spiegel avait évoqué ses dysfonctionnements en cas de feu nourri. Cela n’a aucunement empêché l’armée d’en commander 3 000 de plus en 2013, malgré un rapport de la Cour des comptes allemande qui pointait ses défauts.

Première femme à être nommée à la tête du ministère allemand de la Défense, Ursula von der Leyen semble avoir hérité d’un des postes les plus épineux au sein de la coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates. Si la ministre de la CDU (centre droit) a nommé une commission d’enquête pour déterminer les causes de la traîne du dossier, elle fait désormais face aux critiques de l’opposition (écologistes et gauche de la gauche) qui lui reprochent son manque de réactivité et de transparence. Le parti de gauche Die Linke réclame une enquête menée par une commission parlementaire indépendante, afin de savoir s’il y a eu ou non des ententes entre des cadres du ministère de la défense et le fabricant d’armes Heckler & Koch.

Mauvaise conception contre procès en radinerie

Sans surprise, le fournisseur de la Bundeswehr a très mal pris cette nouvelle attaque contre son instrument et a immédiatement contre-attaqué. En plus de contester les expertises accusant son fusil, le fabricant d’armes a diffusé sur son site 14 témoignages de soldats anonymes ou de cadres de diverses armées louant les produits de la boite. Et quitte à en faire des caisses, autant inclure des messages qui louent surtout le petit frère du fusil incriminé, le HK 416, candidat par ailleurs à la succession du Famas au sein de l’armée française.

D’autres voix s’élèvent pour prendre la défense de la firme allemande. Sur son site internet, le quotidien conservateur Die Welt reprend un article d’un journaliste spécialiste des questions de défense, qui affirme qu’au moment de décider de produire le nouveau fusil dans les années 1990, une alternative avec un canon plus épais et donc moins sensible à la surchauffe avait été proposée. Il en aurait coûté 10 euros de plus par arme à la production.

La faute à la pingrerie de l’État allemand ? Ursula von der Leyen a beau avoir hérité d’un des portefeuilles ministériels les moins difficiles, c’est aussi un des moins remplis. Bien que ce ne fut pas toujours le cas, l’Allemagne affiche des dépenses militaires parmi les plus basses de l’Union Européenne. En 2013, son budget défense représentait 1,3% de son PIB, contre 2,2% pour la France, et 4,2% pour l’antagoniste russe. Plutôt contradictoire avec le souhait exprimé ces dernières années par l’Allemagne de sortir de ses frontières pour mener des opérations militaires, 70 ans après la fin de la seconde Guerre Mondiale. Un peu moins avec le souhait d’Angela Merkel de créer une force armée européenne… Et donc de partager les frais.

Une partie de l’opposition en Allemagne refuse d’ailleurs toujours une augmentation du budget de défense et appelle à faire la chasse au gaspillage. À son crédit, une autre casserole que se traîne la Bundeswehr. Non content de laisser à sa successeure le soin de se dépêtrer avec ses fusils de fête foraine, l’ancien ministre de la défense Thomas de Maizière a dû, en 2013, renoncer à l’adaptation aux normes européennes de 5 drones de surveillance américains de type Global Hawk. Trop cher. Bilan : 550 millions d’euros jetés par les fenêtres de la Stauffenbergstraße, la rue qui abrite le ministère allemand de la Défense. Le brave homme a été promu ministre de l’intérieur fin 2013, merci pour lui.

Un HK G36 sur le site de la police nationale. (screenshot)
Un HK G36 sur le site du ministère de l’Intérieur français. (screenshot)

Le G36 utilisé en France ? Chhhht !

Toujours est-il que le fusil allemand et ses versions dérivées, bien que déjà relativement anciens, restent très utilisés dans le monde. Outre l’Allemagne, ils équiperaient des unités de police et de défense dans 36 autre pays et figurent dans l’équipement standard des armées espagnole, lettone, lituanienne, malaisienne et prochainement grecque. En France, plusieurs sites de passionnés affirment que les groupes d’intervention type RAID ou GIGN utilisent les versions G36K et G36C, plus courtes et conçues pour les interventions tactiques et dans des espaces réduits. Jusqu’à ce que 8e étage contacte la Police Nationale, il était même possible de voir l’arme intégrée au catalogue de la Police Nationale pour Milipol Paris 2013 (un salon spécialisé dans l’armement et la sécurité se tenant tous les deux ans) avec la mention « Nouvelle Génération RAID ». Néanmoins, le service communication de la Police Nationale nous a indiqué que « le RAID ne communique pas sur l’équipement qu’il utilise ». Depuis, l’accès à la page montrant l’arme sur le site du ministère de l’Intérieur a été bloqué. Nous ne saurons donc pas si le RAID utilise officiellement le petit frère du G36, ni si celui-ci souffre des mêmes défauts que le fusil d’infanterie allemand.

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8 commentaires

  1. ICN 7 années ago

    Ce G36 ne vaudra jamais le SIG 550 équipant l’armée suisse, qui n’a pas à déplorer des problèmes de fabrication.

    C’est une arme fiable et très précise, en témoigne l’obligation qu’a tout soldat de tirer à 300 mètres (sans lunette aucune) dans le cadre de la formation de base de cette armée !

    La France devrait s’en inspirer.

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