Dimanche matin. Vincent attend devant la mairie du XXe arrondissement de Paris. Dans une main, une cigarette, dans l’autre, la pancarte de l’Alternative urbaine, l’association pour laquelle il travaille. Après plusieurs mois de chômage, cet ancien SDF est devenu guide touristique parisien.

Pendant un an et demi, Vincent a été à la rue. Maintenant, il la fait visiter. Mais si aujourd’hui il connaît Belleville et Ménilmontant comme sa poche, ce n’est pas là qu’il avait l’habitude de dormir. « Je vivais dans la forêt de Meudon, au Sud-Ouest de Paris. Il me fallait un endroit où je pouvais laisser mes affaires », confie-t-il :
« Quand tu es SDF, soit tu restes dans la rue, et tu ne bouges plus, pour garder tes sacs, et ne pas te les faire voler. Soit tu vis en groupe, et quelqu’un te les surveille quand tu as quelque chose à faire. Mais si tu décides de vivre seul, comme moi, pour pouvoir t’en sortir, il faut trouver un endroit isolé. »
L’avantage de Meudon : un lieu « discret », mais « proche de Paris », élément indispensable selon Vincent, qui s’y rendait régulièrement pour des démarches administratives. C’est d’ailleurs en postulant à une offre de Pôle Emploi qu’il s’est retrouvé guide.
Depuis peu, il a quitté Meudon, et a rejoint un centre d’hébergement et de réinsertion sociale.

“Mieux que l’usine”
Sur son t-shirt, Vincent arbore le logo de l’Alternative urbaine. De temps à autres, il ouvre le sac qu’il porte sur le dos pendant toute la visite. A l’intérieur, des documents sur le XXe : vieilles cartes postales, plans, photos. Les recherches sur le quartier, c’est lui qui les a faites. Diplômé d’un DEUG d’histoire, il a su s’intéresser à l’évolution de Paris. Il ressort des anecdotes sur Hausmann, la Commune de Paris, le quartier originellement ouvrier, l’étymologie des rues.
« Belleville servait d’approvisionnement en eau de tout Paris. C’est pourquoi on retrouve la rue des Cascades, celle des Rigoles, ou de la mare ».
Il parcourt les passages cachés du quartier, fait découvrir des plus voyants aux plus dissimulés dessins de rue, qui recouvrent les murs du XXe, et livre l’histoire des bâtiments.
« Guide touristique, c’est mieux que l’usine ». Vincent est passé par Mc Do, entre autres, avant d’atterrir ici. Pour les personnes comme lui en réinsertion, les boulots proposés sont très généralement manuels. L’Alternative urbaine se tourne vers autre chose, et part du principe que, bien qu’un temps en marge de la société, ces demandeurs d’emploi peuvent aspirer eux aussi à des activités plus intellectuelles.
Ce qui motive Vincent, c’est d’être au contact des autres. À chaque nouvel arrivé pour la visite, il tend la main, se présente. Il tutoie tout le monde, répond à chaque question. Même les gens du quartier commencent à le connaître : on croise sa collègue de la Cantine des Pyrénées, restaurant associatif où il donne un coup de main, puis la responsable d’un des jardins collectifs, où il emmène souvent ses visiteurs. Quelques mots échangés avec un jeune qui passe par là, ou avec des personnes intéressées par la visite. Vincent mène le groupe et la balade. Comme le résume Selma Sardouk, à l’origine de l’Alternative Urbaine, « d’une position de demande, il est passé à une position où il donne quelque chose. »
Après l’Alternative urbaine, Vincent suivra une nouvelle formation
En lisant un article publié sur lui dans un journal, Vincent fait remarquer qu’ils auraient pu changer le titre et mettre « ancien SDF ». Il ne dit pas être fier d’en être arrivé là, mais a conscience que toutes les personnes dans son cas n’ont pas le même parcours. « C’est difficile de donner envie de reprendre sa vie en main », confie-t-il. Addictions en tous genres ou troubles psychologiques se mêlent souvent au seul problème du logement. Après être passé par là, Vincent dit mieux comprendre la situation des sans-abri.
En septembre, il commencera une formation pour devenir moniteur-éducateur. Il débutera dans une école pour autistes, puis passera à de la prévention pour les jeunes. Pas sûr en revanche qu’il travaille un jour dans un centre d’hébergement :
« Certaines choses dans l’organisation de ces centres ne me plaisent pas. »
L’éducatrice qui le suit pour sa réinsertion lui a d’ailleurs conseillé d’attendre un peu avant de s’engager dans ce domaine, si toutefois il le souhaitait. « Pour avoir plus de recul », justifie-t-il.
Pour Vincent, et bientôt d’autres anciens sans-abri, l’Alternative urbaine apparaît comme un moyen de réinsertion par le travail. Devoir se lever, avoir des responsabilités, rencontrer de nouvelles personnes, reprendre confiance en soi. « Moi je ne me suis jamais vraiment arrêté de chercher du travail, témoigne Vincent. Mais pour d’autres personnes, c’est parfois très difficile de revenir à une vie active. »
Mais selon lui, d’autres raisons ont facilité sa réinsertion :
« J’ai des atouts, malgré tout : je suis un homme, assez jeune, blanc, je porte un nom qui sonne plutôt français, j’ai mes deux bras, mes deux jambes, et une tête qui ne fonctionne pas trop mal. Si j’étais une femme noire et handicapée, ce serait sûrement beaucoup plus compliqué ».

Les fleurs du passage de l’Ermitage, les tags de la rue Dénoyez, les paroles des “Copains d’Abord” chantées sur le marché de Belleville, et la visite se termine sur un belvédère avec vue sur tout Paris. Et sur la forêt de Meudon.
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