La boxe, dernière chance pour les rebuts de l’école chinoise

Confrontés à l’un des systèmes scolaires les plus élitistes au monde, les étudiants chinois sont mis à rude épreuve. Pour ceux qui ne rentrent pas dans le moule, les portes de l’éducation se referment dès le collège. Victimes de l’hyper sélectivité, certains jeunes sont envoyés par leurs parents dans des « camps d’entraînement » censés faire d’eux des sportifs de haut niveau. Si certains parviendront à faire carrière dans la MMA, la majorité finira agent de sécurité ou sera récupérée par l’armée.

(photo Rémi Yang/8e étage)
He Shao Shuei, à l’entraînement. (photo Rémi Yang/8e étage)

Le petit matin se lève sur le camp de formation sportive de Xi’an, la capitale de la province du Shaanxi. Une vingtaine de jeunes traîne des pieds dans la poussière. Les yeux encore à moitié collés, ils bâillent chacun leur tour.

La plupart sont vêtus de la tenue d’entraînement classique : un t-shirt sans manche — rouge, bleu ou noir — floqué d’un dragon doré dans le dos, accompagné d’un short court. Comme tous les matins, ils se dirigent du dortoir au gymnase, dans un concerto de claquettes frappant le bitume. Dix petites minutes d’une marche lente, presque forcée, leur permet de se préparer mentalement à l’entraînement du jour. Ces combattants pratiquent le sanda. Aussi appelé sanshou, ce qui pourrait se traduire par « main libre », le sanda est une variante chinoise du kickboxing.

Les bâtiments de cet INSEP à la chinoise sont simples, voire vétustes, et très peu colorés. Une architecture qui contraste avec les énormes tours de verre du quartier d’affaires de la ville. De l’autre côté du trottoir, les « costards-cravates » se dépêchent de gagner leurs bureaux. Ils passeront sans doute leur journée entre réunions, comptes-rendus, mails, et pauses café. Pour prétendre à cette « vie rêvée du salarié », ces cadres supérieurs ont dû passer par l’enfer du système éducatif chinois, synonyme de pression constante et de sélection sans pitié.

(photo Rémi Yang/8e étage)
(photo Rémi Yang/8e étage)

Des raisons suffisantes pour que Libo Wei sorte du circuit scolaire à l’âge de quinze ans, quelques années avant de passer son Gaokao, équivalent chinois du baccalauréat français.  « J’avais de mauvaises notes, je n’aimais pas étudier dans ces conditions », se justifie-t-il. En léger surpoids, il prend alors la décision, avec ses parents, d’intégrer l’équipe de boxe chinoise de la région. Côté finances, il estime qu’une année dans le camp coûte de 1000 ou 2000 yuans, contre 3000 ou 4000 pour le collège. De quoi alléger considérablement les dépenses de la famille. Le jeune homme assure cependant que ce n’était pas une question d’argent : « Je voulais vraiment arrêter d’étudier », insiste-t-il. 

Les cheveux fraîchement coupés au bol, Sun Gao vient de souffler ses 18 bougies. S’il ne dépasse pas le 1m65, ses épaules sont carrées et ses bras musclés. C’est un des piliers de l’équipe. Cela va bientôt faire 10 ans qu’il s’entraîne ici. « L’école coûtait cher, et avec mes résultats, ma famille ne pouvait pas se permettre de prendre de risque. Mes parents m’ont envoyé faire de la boxe chinoise quand j’étais très petit », raconte-t-il. Un destin qu’il embrasse aujourd’hui sans regret : « Je ne leur en veux pas du tout », confie-t-il.

(photo Rémi Yang/8e étage)
À gauche, Deng Ming est en position d’attaque. (photo Rémi Yang/8e étage)

« JE VEUX PARTIR ÉTUDIER À L’ÉTRANGER »

Pourtant, la vie au camp est loin d’être facile. L’année dernière par exemple, il a dû lutter pour rester au poids. « Nous étions trois ou quatre jours avant une compétition importante. Il faisait 40°C, sous un grand soleil. J’étais 5kg au-dessus de ma catégorie. J’ai donc passé la semaine à faire des tours de stade en portant plusieurs couches de vêtements. » Toutes les heures, il s’arrêtait au gymnase pour essorer les quatre vestes qu’il avait sur le dos, avant de repartir de plus belle. 

Jour après jour, ces jeunes s’entraînent de 8h30 à 12h30. Puis, après une pause de deux heures le midi, remette leur corps à rude épreuve jusqu’à 18h. Le soir, ils ont quartier libre, même s’ils ont parfois des entraînements spéciaux jusqu’à 22h. Ils peuvent profiter du dimanche pour respirer.

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Les résultats d’un tel emploi du temps ? Des courbatures permanentes et de nombreuses blessures. Bleus sur les jambes, douleurs articulaires, le fardeau physique semble plus lourd à porter que la pression scolaire. Pourtant, pour Libo Wei, hors de question de faire marche arrière. Même aujourd’hui, après avoir passé quatre années dans le camp, réintégrer le système scolaire chinois lui paraît impensable. « Là, j’apprends l’anglais dans un institut privé pour pouvoir partir étudier à l’étranger l’année prochaine. J’aimerais bien aller en Nouvelle-Zélande », avoue-t-il dans un anglais plutôt bon. 

On pourrait penser nombreux les rebuts de l’école chinoise. Pourtant, Sun Gao assure qu’il fait partie d’une minorité. « Mais avec toute la population qu’il y a en Chine, ‘‘pas nombreux’’, ça reste un nombre plutôt important », analyse-t-il. 

APRÈS L’EFFORT…

L’entraînement matinal s’achève. Les ventres, eux, n’en finissent plus de gargouiller. Direction la cantine. Avant, Sun Gao fait un arrêt à la supérette avec son ami. « La bouffe d’ici est vraiment pas bonne », confesse-t-il en sirotant son Meidon, sorte d’eau aromatisée locale. « Le soir on en profite pour sortir au restaurant histoire de manger de la vraie nourriture. C’est comme ça qu’on fait du bon muscle ! », explique-t-il, tout sourire, en contractant son biceps. 

(photo Rémi Yang/8e étage)
(photo Rémi Yang/8e étage)

Il faut dire que la cantine n’est pas très attirante. Les plateaux en métal où sont servis les repas font penser à ceux qu’on trouve en prison. Le menu du jour ? Patates, riz, haricots, et quelques morceaux de poulet. Un grand classique. Attablé avec ses camarades, Sun Gao finit son plat en à peine quelques minutes. Il débarrasse avant de se rendre au dortoir.

Jusqu’à 14h, c’est repos. Les petites chambres de 10m2 peuvent parfois accueillir jusqu’à six lits. Celle de Sun Gao est légèrement en désordre. Sur le petit balcon, des habits sont en train de sécher au soleil. Un peu gêné de recevoir dans ces conditions, il s’excuse, avant d’aller prendre sa douche. 

Si cette jeunesse passe quasiment tout son temps à s’entraîner, cela ne l’empêche pas de partager les mêmes hobbies que les autres jeunes Chinois. Jouer au célèbre jeu vidéo League of Legends (LoL), par exemple. « Il y a deux ans, on a suivi la coupe du monde de LoL. On était à fond derrière World Elite (NDLR, la seule équipe chinoise représentée). Mais les Coréens sont beaucoup trop fort », se remémore Sun Gao, en train de se sécher. 

(photo Rémi Yang/8e étage)
Sun Gao, au milieu. (photo Rémi Yang/8e étage)

À cette époque, ils n’avaient à leur disposition qu’un petit ordinateur portable pour tout l’étage. Aujourd’hui, c’est sur mobile qu’ils jouent. Heartstone, Clash Royal… Ils se partagent toujours des vidéos de LoL. « Regarde cette action de Faker, c’est dingue ! », s’exclame le jeune boxeur. Après un petit moment passé sur Youku (NDLR, le YouTube chinois), les jeunes retrouvent leur « lit » — simple planche de bois posée sur une structure métallique. C’est l’heure de la sieste. 

GAGNER SON PAIN À LA SUEUR DE SES POINGS

Une chose est sûre, ils ne roulent pas sur l’or. Cela n’a pas empêché He Shao Shuei, l’une des stars de l’équipe, de récemment verser 2200 yuans (l’équivalent d’un SMIC) à une œuvre caritative. « Il y a eu un séisme au Sichuan qui a fait une vingtaine de morts. J’avais un peu de sous de côté, je me suis dit que je devais faire au moins un geste… », justifie-t-il. Le jeune homme a déjà un bel avenir de tracé dans le MMA. « Certains boxeurs sont venus en MMA parce qu’il y a moyen de se faire beaucoup d’argent. En tout cas, plus qu’en boxe chinoise. », éclaire Sun Gao. 

Les compétitions sont leur unique source de revenus. « En Chine, le sanda ne suffit plus pour gagner sa vie », déplore le boxeur à la coupe au bol. Si le sanda est très ancré dans les traditions chinoises, il commence à être supplanté par les superproductions américaines de l’UFC (NDLR, l’Ultimate Fighting Championship ; plus importante ligue mondiale d’arts martiaux mixtes (MMA)). Plus suivi, plus lucratif, le « mixed martial arts » a trouvé son public en Chine.

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À gauche, He Shao Shuei s’apprête à combattre. Hu Se Le, au milieu, observe. (photo Rémi Yang/8e étage)

Ainsi, pour trouver des combats, il leur faut parfois changer de continent. Il y a quelques mois, Deng Ming est allé jusqu’en France pour un combat de kickboxing. Il en est revenu avec des étoiles plein les yeux. Non, ce n’est pas la tour Eiffel ni même les Champs qui l’ont ému, ce sont les filles. « À Paris les filles étaient vraiment super belles, c’est dingue. Partout où tu vas y’a forcément un canon », se souvient-il. 

Sun Gao se rappelle de deux de ses anciens camarades. « Il y a trois ans, il y en a un qui a été recruté par une boîte de sécurité privée, loin d’ici, dans le Yunnan si je me souviens bien. (NDLR, une province du sud-ouest frontalière avec le Vietnam). Et l’année dernière, un autre est parti rejoindre l’armée. » Il faut dire que ces profils atypiques intéressent beaucoup les recruteurs. Très sportifs, ils n’ont souvent besoin que d’une petite formation théorique supplémentaire pour exercer ce type de métier. 

Ce genre de carrière n’intéresse pas notre boxeur à la coupe au bol. Pour lui, l’année prochaine, ce sera direction l’université d’éducation physique de la ville de Xi’an (NDLR, l’équivalent d’une licence de sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS)). Il vient d’ailleurs tout juste de recevoir sa lettre d’admission : « Dix ans plus tard, me voilà de retour dans le système ! »

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