Le tourisme, aubaine économique ou danger pour la planète ?

Sur 8e étage, nous vous avons déjà parlé à plusieurs reprises de l’impact potentiellement dévastateur du tourisme de masse sur l’environnement. Aujourd’hui, nous nous proposons de revenir sur ce sujet dans notre chronique hebdomadaire “Jeu de cartes”.

Prague, la capitale tchèque, et ses touristes un jour d'été. (Photo Flickr/ Martijn Snels)
Prague, la capitale tchèque, et ses touristes un jour d’été.
(Photo Flickr/ Martijn Snels)

Selon une étude publiée le 7 mai dans la revue Nature Climate Change par une équipe de chercheurs australiens, chinois et indonésien, en prenant en compte transport, alimentation, hébergement et achats des voyageurs, environ 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre seraient imputables au tourisme. Une proportion près de trois fois supérieur aux précédentes estimations, qui oscillaient aux alentours de 2,5% à 3%. Un chiffre alarmant qui n’empêche cependant pas le tourisme mondial de se développer.

En 2017, il progressait ainsi de 7%. L’Organisation mondiale du tourisme se félicitait alors du « meilleur résultat jamais atteint depuis sept ans ». De bons résultats qui devraient, à l’en croire, perdurer en 2018 avec une hausse prévue de 4% à 5%.

Le tourisme mondial, qui comprend le trafic aérien serait responsable  de 8% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Cette carte représente les liaisons aériennes commerciales en juin 2009. (Crédit Jpatokal/Wikicommons (CC BY-SA 3.0) cliquez pour agrandir
Le tourisme mondial serait responsable de 8% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Cette carte représente les liaisons aériennes commerciales, responsables d’une partie de ces émissions, en juin 2009.
(Crédit Jpatokal/Wikicommons (CC BY-SA 3.0)
cliquez pour agrandir

Notre première carte représente ainsi les liaisons aériennes commerciales en juin 2009. Vous vous en doutez, au-delà de ne pas toujours être motivées par le tourisme, les liaisons aériennes ne représentent qu’une petite partie de l’empreinte carbone de ce dernier. En effet, nous commencions cette chronique en vous précisant que le pourcentage de 8% avancé dans l’étude récemment publiée dans la revue Nature Climate Change est près de trois fois supérieur aux précédentes estimations. La raison ? Il ne considère pas uniquement l’impact des voyages, à l’instar de la combustion de kérosène des avions (qu’illustre la carte ci-dessus), de l’essence des voitures ou du fuel des bateaux de croisière. Non, en plus des émissions directement associées aux transports, le calcul prend aussi en compte l’impact engendré par la consommation de biens et de services par les touristes, qu’il s’agisse de nourriture, de séjours à l’hôtel ou d’achats en tout genre.

Il est intéressant d’apprendre que ce sont les trajets et les séjours intérieurs, et non pas les voyages internationaux, qui constituent la première source de rejets de CO2. Sachant cela, vous pouvez déjà probablement deviner quel pays possède l’empreinte carbone du tourisme la plus importante. Il s’agit bien évidemment des États-Unis (23%), une destination très prisée des touristes étrangers, mais aussi des américains. Selon les résultats de l’étude, le pays serait à l’origine de près d’un quart des « émissions touristiques ». En deuxième place du classement, on retrouve la Chine (11%), dont une partie toujours plus importante de la population peut se permettre de voyager, suivie de l’Allemagne (6%), de l’Inde (5,9%), du Mexique, du Brésil, du Canada, du Japon, de la Russie et enfin du Royaume-Uni.

À l’échelle mondiale, le tourisme aurait produit 4,5 milliards de tonnes équivalent CO2 en 2013 (contre 3,9 milliards de tonnes équivalent en 2009), nous apprennent les auteurs de l’étude mentionnée précédemment — précisons tout de même que ces chiffres comprennent ici les déplacements professionnels, qui ne sont pas distingués des autres.

Les auteurs de l’étude précisent que la situation serait particulièrement dramatique pour les États insulaires. Ainsi, aux Maldives, aux Seychelles, à l’île Maurice ou à Chypre – des destinations extrêmement prisées pour leur caractère exotique – le tourisme générerait entre 30 % et 80 % des émissions nationales de CO2. Cet afflux de visiteurs, qui constitue une partie non négligeable du PIB de ces pays, est donc cher payé.

Les chercheurs indiquent que pour l’heure, le secteur touristique n’a pas réussi à réduire son empreinte carbone. Son aspect le plus polluant demeure toujours le transport aérien, une activité dont les émissions ne sont pas prises en compte par l’accord de Paris sur le climat. Et ce malgré les efforts de l’Organisation de l’aviation civile internationale dont les cent quatre-vingt-douze pays membres se sont engagés en 2016 à adopter le gel des émissions de cette activité à leur niveau de 2020 jusqu’en 2035.

Afin de mieux comprendre comment le tourisme peut générer de telles émissions, il est important de prendre la mesure de ce tourisme de masse évoqué en début de chronique. Pour ce faire, nous commencerons par la carte interactive ci-dessus, réalisée par les équipes du quotidien britannique The Telegraph en septembre 2017. Elle illustre, en se basant sur les données pour l’année 2016 de l’Organisation mondiale du tourisme, les pays les plus populaires en indiquant le pourcentage de touristes par rapport aux locaux dans chaque pays sur une année. Son code couleur est simple : plus un pays tend vers le jaune, plus la part de touristes pour chaque résident est bas ; à l’inverse plus un pays tend vers le rouge, plus cette part sera importante.

À ce petit jeu, c’est la principauté d’Andorre, petit État d’Europe du Sud, qui arrive en première position avec 33,5 touristes pour chaque résident. Rien de bien étonnant lorsque l’on sait que cette destination touristique a accueilli 2,36 millions de touristes en 2014, alors que seules 70 000 personnes y résident.

Le reste du TOP 5 est composé de Macao (24,8 touristes pour chaque résident), région administrative spéciale de la République populaire de Chine connue pour ses casinos, les îles Vierges britanniques (12,8 touristes pour chaque résident), les Îles Turques-et-Caïque (10,4 touristes pour chaque résident) et l’île néerlandaise d’Aruba (10,3 touristes pour chaque résident). Au total, on dénombrait 51 destinations où les touristes s’avèrent plus nombreux que les locaux en 2016 — dont Monaco (6e avec 8,7 touristes pour chaque résident) et la France (42e avec 1,25 touriste pour chaque résident).

La France figurait d’ailleurs en première position du nombre total de visiteurs internationaux cette année-là, avec 82,6 millions de personnes. Les États-Unis arrivaient pour leur part en deuxième position avec 77,5 millions de visiteurs internationaux, puis l’Espagne avec 75,6 millions.

Notre dernière carte du jour, elle aussi interactive, s’intéresse aux pays dont sont originaires les touristes se rendant à l’international. Elle est issue du site Internet de la Banque mondiale et représente cartographiquement les données les plus récentes, en date de 2016, de l’organisation. Son code couleur est, là aussi, d’une logique implacable : plus un pays apparaît dans un bleu foncé, plus le nombre total de touristes partant vers l’international y est important.

Nous pouvons constater que, dans ce domaine, aucun pays ne dépasse la Chine (dont 135 millions de résidents partent chaque année à l’étranger). Elle est suivie de l’Allemagne (91 millions), du Royaume-Uni (70 millions) et, étonnamment, de la Pologne (44,5 millions). En cinquième position, on retrouve, assez loin derrière, la Russie (avec 31,7 millions de personnes). Vous remarquerez néanmoins l’absence de données concernant les États-Unis.

« L’augmentation rapide de la demande touristique dépasse la décarbonisation de la technologie liée au tourisme. Nous prévoyons qu’en raison de son intensité élevée en carbone et de sa croissance continue, le tourisme constituera une part croissante des émissions mondiales de gaz à effet de serre », nous préviennent les auteurs de l’étude sur laquelle se base cette chronique. Selon eux, la solution pourrait passer par la mise en place d’une taxation carbone, qui ferait augmenter considérablement les prix des déplacements dans les pays que nous venons de mentionner.

Une idée qui sera certainement difficile à vendre au public quand on sait à quel point le tourisme est désormais un véritable marqueur du monde contemporain. Comme l’explique Rodolphe Christin, dans son livre Le Manuel de l’anti-tourisme, le tourisme occupe à notre époque une place aussi importante que le numérique ou les sports. Une prise d’importance qui se retrouve même dans l’usage des mots le qualifiant. Ainsi, de nos jours, il ne suffit plus d’« être en vacances », mais il convient de « partir en vacances » et pour l’homme vraiment moderne il devient inconcevable de ne pas « faire le Japon ou le Costa Rica ».

Ce sujet vous intéresse ? Pour les anglophones, nous vous invitons à lire par vous même les résultats de l’étude publiée dans la revue Nature Climate Change qui a servi de point de départ à cette chronique. Pour creuser un petit peu l’aspect économique du sujet du tourisme, n’hésitez pas non plus à consulter le site Internet, très complet et en français, de la Banque mondiale. Enfin, pour pousser la réflexion sur une forme de tourisme plus responsable, nous vous redirigeons vers notre récent podcast [Podcast] “Il y a des endroits où même un touriste par an c’est trop”, mais aussi cet article qui traite du livre de Rodolphe Christin publié sur le site Internet de Reporterre. Bonne lecture.

Recommandé pour vous

0 commentaires