Édimbourg, menacée à son tour par le tourisme de masse

Édimbourg est la dernière destination en date à donner de la voix contre un nombre de touristes toujours plus important. En 2017, la ville de 500 000 habitants a accueilli 4,1 millions de visiteurs. Face à un tel afflux, que ressentent les habitants ? Et quelles sont les solutions envisagées pour que la ville ne connaisse pas le même sort que d’autres villes européennes, à l’instar de Reykjavik ou Barcelone ?

Au sommet du Royal Mile, la foule des visiteurs patiente devant le château d'Edimbourg.  (photo Julie Jeunejean/8e étage)
Au sommet du Royal Mile, la foule des visiteurs patiente devant le château d’Edimbourg.
(photo Julie Jeunejean/8e étage)

En remontant le Royal Mile, l’artère principale de la vieille ville d’Edimbourg, on aperçoit au loin des piétons encercler plusieurs artistes de rue. D’autres se prennent en selfie devant des statues vivantes qui aimeraient nous faire croire qu’elles flottent dans les airs. Au sommet de l’imposante avenue, une forteresse surplombe des visiteurs qui se pressent à ses portes. En 2017, l’attraction la plus populaire de la ville a attiré deux millions de visiteurs : un record.

Deuxième destination la plus touristique du Royaume-Uni, Édimbourg connaît un véritable boom depuis 2010, rapporte le Conseil municipal. La ville a vu le nombre de ses visiteurs augmenter d’un demi-million, atteignant les 4,1 million de visiteurs par an dans une ville qui ne compte que 500 000 habitants.

Un succès qui s’explique par la préservation de son architecture – ses quartiers médiévaux et géorgiens sont classés au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1995 –, ses festivals de renommée internationale, dont le Festival International d’Édimbourg et The Fringe, mais aussi par ses liens avec la série de livres et de films Harry Potter. Lors de la rédaction de son œuvre, J.K. Rowling se trouvait à Edimbourg et a largement puisé son inspiration dans l’architecture de la ville.

Cet engouement fait le bonheur de l’industrie du tourisme qui rapporte 1,46 milliard de livres sterling à l’économie d’Edimbourg chaque année, et est à l’origine de la création de 34 800 emplois. Reste que son augmentation soulève des inquiétudes parmi la population, comme l’a révélé un dossier publié par le Conseil municipal de la ville en janvier dernier.

Chaque jour, les fans d'Harry Potter se pressent dans le cimetière Greyfriars Kirkyard. (photo Julie Jeunejean/8e étage)
Chaque jour, les fans d’Harry Potter se pressent dans le cimetière Greyfriars Kirkyard.
(photo Julie Jeunejean/8e étage)

Parmi les problèmes rencontrés, les nuisances sonores causées par la concentration de pubs, restaurants et commerces dans le centre-ville, les rues bondées lors des festivals, mais aussi la mauvaise qualité de l’air. En la matière, « les normes fixées par l’UE ne sont souvent pas respectées. Le tourisme n’est pas la seule cause mais il y contribue », dénonce Cliff Hague, président de l’Association Cockburn, qui veille au patrimoine de la ville.

À cela s’ajoute une gestion des déchets difficile. « En été, l’afflux est tel que la ville n’arrive pas à gérer les quantité énormes d’ordures produites », explique Nicholas Hotman. Des ordures « qui ne sont pas recyclées par les touristes séjournant dans des Airbnb, affirme-t-il, cela rend fou les les habitants ».

Mais à la différence des habitants de Barcelone, « ils ne sont pas hostiles aux visiteurs », précise Nicholas Hotham, chargé des relations publiques pour l’association EWH, qui entend préserver l’authenticité de la ville. Ils partagent néanmoins le sentiments que leur bien-être a été oublié, au profit de l’économie du tourisme.

UN « DISNEYLAND » TOURISTIQUE DOMINÉ PAR DES BOUTIQUES DE SOUVENIRS

À l’image de nombreuses villes européennes, Edimbourg compte son lot de boutiques de souvenirs qui remplacent peu à peu les commerces de proximité. Les magasins de kilts écharpes, bonnets, châles, pyjamas faits à partir de tartan synthétique bon marché – à l’origine l’étoffe est réalisée avec de la laine 100% écossaise – font l’objet de virulentes critiques de la part d’élus et d’associations locales. En 2012, Steve Cardownie, ancien député à la tête du Conseil municipal d’Edimbourg dénonçait l’abondante présence de ces boutiques dans la vieille ville, craignant une « disneyfication » des lieux.

Dernière tendance en date, les magasins consacrés à un célèbre sorcier né dans les années 90 : Harry Potter. À l’intérieur, les fans se pressent pour y trouver un nombre incalculable de produits dérivés : mugs, porte-carte, sodas rappelant la fameuse Bièraubeurre, peluches, bijoux, carnets, et répliques en tous genre. Seules les écharpes en laine d’agneau sont fabriquées en Écosse.

Dans le centre d'Edimbourg, les magasins de souvenirs remplacent peu à peu les commerces de proximité. (photo Julie Jeunejean/8e étage)
Dans le centre d’Edimbourg, les magasins de souvenirs remplacent peu à peu les commerces de proximité.
(photo Julie Jeunejean/8e étage)

Opportunistes, les investisseurs ont rapidement flairé le filon. Plusieurs agences touristiques organisent désormais des visites guidées permettant de suivre les traces du jeune sorcier dans la ville. Dans le cimetière Greyfriars Kirkyard se pressent ainsi les badauds ; J.K. Rowling s’étant inspirée des noms gravés sur les tombes pour nommer ses personnages. Pas forcément du meilleur goût, à en juger un article publié par le magazine VICE, qui estime que l’exploitation du phénomène Harry Potter est en train de « ruiner la ville ».

UN NOMBRE CROISSANT DE PROPRIÉTÉS LOUÉES À COURT-TERME

« Le secteur de la vente au détail connait une crise face à la croissance du commerce en ligne. Il est donc préférable qu’il y ait des magasins touristiques que pas de magasins du tout », tempère Nicholas Hotham. À ses yeux, l’un des problèmes majeurs que connait la ville concerne le logement. Il pointe notamment du doigt la hausse des inscriptions de locations à court terme sur Airbnb.

En septembre 2017, 9638 propriétés édimbourgeoises étaient enregistrées sur Airbnb contre 6272 en juillet 2016, dont 56 % sont louées en l’absence du propriétaire, précise une étude de l’Université de Sheffield menée par Alasdair Rae, docteur en aménagement du territoire et développement régional, en partenariat avec Andy Wightman, membre du Parti Vert écossais élu au Parlement écossais.

« Ce qui est alarmant, c’est que le marché immobilier à Edimbourg est de plus en plus orienté par les exigences des investisseurs, plutôt que par celles des personnes souhaitant louer ou acheter une propriété », précise Andy Wightman sur le site du Parti Vert écossais. Désormais, ce sont plus d’un tiers des appartements ou des maisons qui sont gérées par des sociétés immobilières.

Avant de visiter le château d'Edimbourg, photo souvenir avec un joueur de cornemuse. (photo Julie Jeunejean/8e étage)
Avant de visiter le château d’Edimbourg, photo souvenir avec un joueur de cornemuse.
(photo Julie Jeunejean/8e étage)

Conséquence de cette multiplication d’appartements pour les touristes : « la ville devient de plus en plus inabordable et inaccessible aux ménages ordinaires, notamment aux plus vulnérables de notre société », s’alarme Graeme Brown, directeur de l’association d’aide au logement Shelter Scotland, dans les pages du Guardian.

« Il est clair que l’industrie de la location à court terme n’est pas régulée […] Nous pensons qu’une règlementation efficace s’impose d’urgence », soutient La Cockburn Association. Plusieurs points sont envisagés pour solutionner le problème, tels que l’obligation pour les bailleurs de s’immatriculer auprès des autorités après accord de la copropriété ou encore une limitation des locations à 90 jours par an.

ENCOURAGER LES VISITEURS À EXPLORER LA VILLE AU-DELÀ DU CENTRE

La capitale écossaise songe également à mettre en place une taxe de séjour sur les chambres d’hôtel et les locations de courte durée, ce qui ferait d’elle la première ville du Royaume-Uni à introduire une telle taxe. Elle permettrait ainsi d’améliorer les infrastructures touristiques de la ville.

À Edimbourg, les habitants ont le sentiment que le Conseil municipal a sacrifié leur bien-être au profit de l'économie du tourisme. (photo Julie Jeunejean/8e étage)
À Edimbourg, les habitants ont le sentiment que le Conseil municipal a sacrifié leur bien-être au profit de l’économie du tourisme.
(photo Julie Jeunejean/8e étage)

Le projet est cependant loin de faire l’unanimité. Contesté aussi bien par la Fédération des petites entreprises que l’industrie hôtelière qui craignent pour leurs affaires, le projet n’est toujours pas soutenu par le gouvernement écossais. Selon Cliff Hague, « de telles taxes sont pourtant courantes en Europe et ne semblent pas décourager les touristes ».

L’argent collecté pourrait servir à financer des campagnes de communication qui encouragent les gens à visiter d’autres parties de la ville. Il existe déjà un projet qui invite à découvrir «Edimbourg en 101 objets» dispersés dans les divers quartiers de la ville, « la plupart des visiteurs sont concentrés dans le centre, autour du Royal Mile. La plupart des hôtels et la plupart des attractions touristiques se trouvent dans les environs », indique Nicholas Hotman.

Etonnement, c’est dans la vieille ville que l’Edinburgh World Heritage a décidé d’organiser fin juillet une exposition, en partenariat avec les habitants des quartiers classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Une façon de rappeler que le centre-ville est un quartier vivant. Une manière aussi de dire aux touristes que s’ils souhaitent se sentir à Edimbourg comme chez eux, ils ont le devoir de respecter la ville autant que la leur.

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