Islande, l’épidémie silencieuse

Dernière destination à la mode pour les voyageurs en quête de paysages spectaculaires, la petite île de l’Atlantique Nord de 335 000 habitants a accueilli plus de 2,3 millions de visiteurs rien qu’en 2017. Le tourisme serait désormais la première source de revenus du pays, devant les industries séculaires de la pêche et de la production d’aluminium. Une donnée qui pourrait bien changer durablement le visage du pays et de sa nature exubérante de plus en plus menacée par le tourisme de masse.

Reykjavík
Depuis l’éruption du volcan Eyjafjallajökull en 2010, l’industrie touristique a battu des records. Selon l’office islandais du tourisme, le pays des Vikings a enregistré sur 2016 une hausse de 39% du nombre de visiteurs, qui pourrait atteindre jusqu'à 7 fois son nombre d'habitants pour 2017. Le secteur du tourisme pèse désormais 20 % du PIB, rapportant plus de 7000 euros par habitant. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)
La capitale islandaise est en chantier permanent. Chaque recoin ou dent creuse est réinvesti pour des projets immobiliers, principalement tournés vers le développement du secteur touristique.
Blue Lagoon
Les Américains sont les premiers visiteurs de l'île. Leur nombre dépasse largement celui des insulaires. Les compagnies aériennes offrent la possibilité aux voyageurs de découvrir le pays en effectuant une escale de plusieurs jours sans coûts supplémentaires. Étant en grande majorité de passage pour seulement quelques jours, ils restent concentrés dans les environs de la capitale. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)
Gunnuhver, sur la péninsule de Reykjanes
Partout où le tourisme de masse se développe, les comportements à risque se multiplient. L’augmentation des rapports d’incidents impliquant des touristes est alarmante. Certains sites étant des propriétés privées, la tâche est complexe pour un gouvernement qui peine à informer les visiteurs, installer des protections et améliorer la signalisation. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)
Zone en construction dans l'est de Reykjavík
La popularité d'Airbnb accroît la pression foncière du centre de Reykjavík et fait sortir de son parc immobilier de nombreux appartements. La capitale observe un exode de ses populations vers les périphéries. Les habitants du centre-ville laissent progressivement la place aux touristes, transformant le paysage où fleurissent les hôtels et boutiques de souvenirs au détriment de la scène culturelle et artistique de la ville. L’explosion des loyers complique également la tâche aux étudiants qui n’arrivent plus à se loger dans le centre-ville. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)
Cascade de Skógafoss
Les Islandais souhaitent que leur pays améliore les infrastructures et les transports en commun pour mieux canaliser le trafic des visiteurs. Les lieux les plus célèbres manquent cruellement d’infrastructures capables d’accueillir autant de personnes, notamment de toilettes, de parkings et de panneaux de signalisation sur les sites naturels les plus visités. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)
Seltún, péninsule de Reykjanes
80% des touristes viennent en Islande pour profiter de la nature. Cela met une pression énorme sur les sites naturels. Certains visiteurs ne respectent pas les sentiers ou balisages et causent des dommages parfois irréversibles sur les formations végétales ou géologiques des sites. En conséquence, on accroît le balisage, la signalétique et l'aménagement au détriment du caractère vierge de la nature islandaise. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)
Le gouvernement islandais a créé la Tourism Task Force 2015-2020. Cette période est consacrée à aborder les tâches requises pour établir les bases dont l'industrie touristique a besoin. Son rôle est de coordonner les mesures à prendre et de trouver des solutions. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)
Parc national de Skaftafell
Le pays doit alimenter la masse de touristes, avec en grande partie des produits importés, et répondre à leurs besoins en eau, directs et indirects, sans oublier les dégâts environnementaux liés aux détergents utilisés, à l’acheminement, au traitement des déchets, à la pollution automobile et au développement des lignes aériennes. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)
De nombreuses discussions consistent à trouver quelle forme de tourisme est la plus appropriée pour l'Islande. Les politiques actuelles et les campagnes de promotion visent à faire une sélection par l'argent pour attirer des visiteurs ayant les moyens de contribuer de manière significative à l'économie du pays. Une clientèle consumériste, qui a le mérite de rester cantonnée aux attractions touristiques majeures et aménagées, et dont l'essentiel du voyage se résume à des descentes de bus pour se prendre en photo devant les curiosités de l'île. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)
Sólheimasandur
Le gouvernement cherche à développer de nouvelles liaisons aériennes depuis l’étranger vers les zones les moins visitées de l’île (l’est et le nord), dans une stratégie de meilleure répartition géographique des visiteurs. Cependant, les conséquences d'une hausse abrupte de la fréquentation de ses secteurs peu préparés à accueillir tant de monde seront source de pressions environnementales et sociales d'autant plus conséquentes. (photo Denis Meyer/Hans Lucas/8e étage)

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L’Islande peut compter sur son insécurité quasi nulle pour se positionner comme une « destination refuge », loin des menaces d’attentats terroristes qui font s’effondrer le marché touristique du pourtour méditerranéen. Le dynamisme du secteur aérien, l’arrivée de nouveaux acteurs ainsi qu’une concurrence accrue en matière de tarifs sont autant de raisons qui propulsent le pays sur le devant de la scène. L’activité explose, les chambres d’hôtes se multiplient, offrant une deuxième vie aux fermes abandonnées, repeuplant ainsi des territoires désertés.

Le boom du tourisme pose néanmoins de sérieux défis au pays. Les infrastructures routières ne suivent pas, les hôtels sont saturés, le succès d’Airbnb fait grimper les prix des logements dans la capitale, au détriment des locaux qui peinent désormais à se trouver un toit. Les jeunes qui ne peuvent pas se loger quittent le pays. Le fossé entre les générations se creuse.

Face à cette concentration, les autorités peinent à assurer la mise en place des structures d’accueil nécessaires. Toilettes, parkings, panneaux de signalisation sont en nombre insuffisant par rapport à l’afflux touristique. Les sites, auparavant peu visités, subissent aujourd’hui l’assaut de bus touristiques et de voitures de location de plus en plus nombreuses. Les touristes en voyage individuel sont lâchés en roue libre dans le pays, sans avoir été sensibilisés au préalable à la fragilité extrême des sites ni à leurs dangers.

Les enjeux sont tels qu’une « task force » a été mise en place afin d’anticiper et de préparer l’essor attendu de cette manne dans les décennies à venir. Face à cet afflux en constante augmentation, le gouvernement islandais réfléchit actuellement à des solutions qui permettraient au pays de continuer de bénéficier des rentrées d’argent permises par le tourisme tout en préservant ses sites naturels. Des moyens permettant une canalisation des flux touristiques sur tout le territoire, une limitation du nombre de visiteurs admis sur l’île à l’année, une répartition des masses et un aménagement des sites les plus vulnérables. Ces mesures pourraient permettre de réduire la pression touristique exercée sur quelques lieux bien précis, mais aussi de mieux contrôler l’impact environnemental de ce tourisme désormais de masse.

Le modèle économique de l’île est fragile. Beaucoup parmi les économistes redoutent que le tourisme s’essouffle, voire retombe d’ici quelques années, avant que l’île n’ait pu en profiter pour diversifier ses activités.

Il faut dire que cet essor, en particulier en ce qui concerne le tourisme hivernal, est directement lié aux réseaux sociaux. S’ils se retournent contre le tourisme en Islande, les effets se feront ressentir très rapidement. La réputation d’une destination se détruit plus rapidement qu’elle ne se construit. La visite d’un territoire inspirant l’intégrité écologique devrait s’accompagner de pratiques favorisant la protection de cet environnement, et ce tant sur le plan de l’offre d’activités touristiques que des choix de découverte de l’île.

L’urgence de la situation implique d’agir rapidement et de manière adéquate pour préserver à la fois le patrimoine, mais aussi le caractère naturel des sites. Cela nécessite d’admettre que la capacité d’accueil de certains sites est limitée pour espérer préserver l’authenticité de l’expérience pour ses visiteurs.

Il va falloir faire preuve de créativité pour réinventer le tourisme et favoriser un développement plus responsable et éthique. La configuration actuelle constitue un terreau fertile pour des alternatives locales, humaines et durables aux géants de l’industrie touristique. En attendant, le mieux reste encore de s’accorder le temps de prendre conscience de l’immense richesse de l’île, mais aussi de la fragilité de son écosystème, et d’adapter son comportement sur les sites et dans le choix des prestataires.

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