En Pologne, le combat des musulmans pour vivre leur foi

À l’instar des anciens pays de l’ère soviétique, la Pologne est particulièrement réticente à l’immigration. À Varsovie, une capitale ancrée dans le catholicisme, les musulmans peinent à trouver leur place.

Le Centre de la Culture musulmane à Varsovie, vandalisé en novembre 2017.  (Photo Capucine Japhet/8e étage)
Le Centre de la Culture musulmane à Varsovie, vandalisé en novembre 2017.
(Photo Capucine Japhet/8e étage)

Devant la mosquée de la rue Wiertnicza à Varsovie, les fidèles sortent peu à peu des salles de prières. Nous sommes vendredi, un jour sacré pour les musulmans. Loin des 211 églises qui peuplent Varsovie, le lieu de culte musulman détonne dans le paysage urbain. En rentrant dans la mosquée, Farhan Jamalvy discute avec ses amis. La trentaine, soigneusement vêtu, Farhan est journaliste. Pakistanais, il a émigré en Pologne il y a maintenant huit mois. Et son quotidien n’est pas toujours évident. « La plupart des sondages montrent que la société polonaise n’est pas prête à accueillir des personnes avec la peau foncée, et encore moins des personnes non blanches et musulmanes ! », assure-t-il.

En effet, selon une étude menée par le think tank britannique Chatham House, 71% des Polonais refusent l’immigration issue des pays musulmans. Et dans une société fervemment catholique, au sein de laquelle le concept de laïcité est oublié, les 0,1% de musulmans sont peu considérés.

En buvant son verre d’eau, Farhan explique à quel point la Pologne est un beau pays, et qu’il pourrait y saisir des opportunités professionnelles intéressantes. Cependant, le manque d’ouverture de la société est un véritable frein pour lui : « Je me sens discriminé dans les bus, dans les banques, dans l’espace public en général. »

La couleur de la peau semble effectivement être le premier facteur de discrimination. Aïden Faraz, 23 ans, s’est installé à Varsovie pour ses études. Originaire du Koweït, il raconte : « Un jour un ami a crié mon nom dans le tramway, les gens se sont affolés en hurlant au terrorisme. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Lorsque je suis descendu du tram, des policiers m’attendaient et m’ont menotté. Je suis resté six heures au commissariat. »

Farhan Jamalvy, la trentaine, est journaliste.  (Photo Capucine Japhet/8e étage)
Farhan Jamalvy, la trentaine, est journaliste.
(Photo Capucine Japhet/8e étage)

L’expérience d’Aïden est une anecdote parmi tant d’autres. Ce jeune étudiant en architecture s’est fait physiquement agresser à deux reprises cette année : « Un vieil homme dans le bus a commencé à me frapper en hurlant “Allahu akbar”, je l’ai laissé faire, je ne pouvais pas répliquer contre une vieille personne… », explique-il, un peu déboussolé.

« Lors de mon premier jour à l’Université, on m’a demandé si les musulmans épousaient quatre femmes, c’est vraiment pas simple de vivre sa foi ici », ajoute-il. En couple depuis un an avec une Polonaise de confession catholique, le jeune homme subit les discriminations au quotidien. La famille de sa petite-amie a notamment demandé à la jeune fille de le quitter, car il représente « un danger potentiel ».

UNE VIOLENCE PHYSIQUE ET SYMBOLIQUE

La violence physique à l’égard des étrangers dans l’espace public apparait être un phénomène assez récurrent. Luay Shahda, syrien, est arrivé en Pologne également pour ses études. Contrairement à Aïden, il est blanc de peau et ne se sent pas autant en danger que ses amis pakistanais. Mais Luay reste toujours sur ses gardes : « J’évite de sortir trop tard le soir. Il y a souvent des groupes d’hommes alcoolisés qui agressent les étrangers donc je prends mes précautions. »

Si la violence se manifeste surtout en fonction de la couleur de la peau, les symboles religieux sont aussi attaqués. Farhan Jamalvy va parfois déjeuner chez Maho, un restaurant turc à deux pas de “la mosquée bleue”. Recouvert presque entièrement par des plantes, quelques tags sur le côté, l’établissement semble être complètement laissé à l’abandon. Lorsque l’on s’approche de plus près, une entrée permet de découvrir un restaurant pourtant très animé. Il y a quelques mois, le patron de l’établissement a découvert les vitres de sa devanture brisées. Cet incident, qui s’est déroulé pendant la nuit, n’a pas pu être élucidé. Cependant, le patron du restaurant ne préfère pas mentionner qu’ici la viande est halal car « la clientèle est à 90% blanche ».

Chez Maho, un restaurant turc à deux pas de "la mosquée bleue". Il y a quelques mois, les vitres de l'établissement ont été brisées pendant la nuit.  (Photo Capucine Japhet/8e étage)
Chez Maho, un restaurant turc à deux pas de “la mosquée bleue”. Il y a quelques mois, les vitres de l’établissement ont été brisées pendant la nuit.
(Photo Capucine Japhet/8e étage)

À quelques minutes du restaurant, Le Centre de la Culture musulmane à Varsovie, qui selon Farhan Jamalvy ressemble plus « à un laboratoire expérimental qu’à une mosquée », accueille les fidèles au quotidien. L’architecture très moderne du centre donne lieu à une façade entièrement vitrée. En novembre dernier, le lieu de culte a été vandalisé. Un individu aurait jeté des pierres sur les vitres de la mosquée pendant la nuit.

UN REJET CULTUREL ET POLITIQUE

Si pour la plupart des musulmans interrogés les actes de vandalisme demeurent isolés, ils témoignent de l’hostilité de la société envers les étrangers de confession musulmane. L’étude de Konrad Pedziwiatr, chercheur au centre de recherche pour l’immigration, est assez déterminante. Ce rapport qui porte sur les séminaristes n’a pas encore été publié, mais fait déjà parler de lui dans les médias polonais.

Selon Konrad Pedziwiatr, les futurs prêtres véhiculeraient des discours islamophobes, et même antisémites : « On pourrait imaginer qu’ils comprennent la diversité religieuse mais la vision des prêtres sur l’Islam est clairement négative. À la question : l’Islam devrait-il être interdit ? La majorité répondent oui. »

Les vitres du Centre de la Culture musulmane de Varsovie.  (Photo Capucine Japhet/8e étage)
Les vitres du Centre de la Culture musulmane de Varsovie.
(Photo Capucine Japhet/8e étage)

Selon les dernières données du bureau des statistiques, 92,8% des Polonais ont déclaré leur appartenance à la communauté catholique. Culturellement, le pays est ainsi profondément ancré dans le catholicisme. Avec une parole religieuse particulièrement hostile envers l’islam. Une animosité que l’on retrouve également dans la sphère politique.

Le retour au pouvoir du PIS (Droit et Justice) en 2015 a donné lieu à des propos xénophobes, vainement condamnés par l’Union européenne. Le parti du PIS, eurosceptique et conservateur, dirigé par le très pieux Jarosław Kaczyński, rejette de facto la diversité culturelle. Lors de l’accession de Mateusz Morawiecki au poste de premier ministre en décembre 2017, le nouveau chef du gouvernement a rappelé à la télévision ses intentions en termes de politique migratoire : « Nous sommes assurément du côté de ce qui a été dit par le Parti Droit et Justice (PiS) lors des élections de 2015, à savoir, que nous n’accueillerons pas de migrants issus de pays d’Afrique ou du Moyen-Orient. »

UNE DISCRIMINATION ADMINISTRATIVE ?

Un rejet des immigrés renforcé par le combat administratif auquel est confronté chaque étranger. Aïden, qui se bat avec ses papiers depuis son arrivée, raconte : « À chaque fois que je vais présenter mon dossier, pourtant complet et valide, pour demander une carte de résident, on me le renvoie en me disant qu’il manque une pièce. Je ne sais plus quoi faire. »

Ne parlant pas polonais, il est d’autant plus difficile pour Aïden d’argumenter puisqu’au bureau de l’immigration de Varsovie, on ne parle pas anglais. « Je dois venir avec ma copine ou mon voisin pour faire la traduction. La dernière fois, j’y suis allé seul et la communication était impossible », s’offusque Aïden.

Aiden Faraz, 23 ans, originaire du Koweït, s’est installé à Varsovie pour ses études.  (Photo Capucine Japhet/8e étage)
Aïden Faraz, 23 ans, originaire du Koweït, s’est installé à Varsovie pour ses études.
(Photo Capucine Japhet/8e étage)

De son côté, Farhan Jamalvy s’est vu refuser sa carte de résident sans aucune explication, il a alors fait appel à un avocat pour avoir des réponses. Il estime être complément lésé dans cette histoire : « Je pense qu’ils prennent juste les dossiers pour percevoir les frais mais légalement, c’est impossible à démontrer. »

UNE QUESTION DE PERCEPTION

Si la situation semble désespérée pour certains, d’autres immigrés musulmans n’ont pas l’impression de subir de discrimination. C’est notamment le cas de Hussien Saleh. Barbe de trois jours bien taillée, polo Ralph Lauren et short au style BCBG, cet Égyptien s’épanouit pleinement à Varsovie. Pas de problème administratif, ni d’agressions, il dit vivre sa foi en toute tranquillité. « Je vivais avec des Polonais à une époque, et ils étaient très sympas. Lire le coran, aller à la mosquée, prier chez moi, je n’ai aucun problème pour faire tout ça », explique-t-il. « Si les gens sont racistes, c’est juste parce qu’ils n’ont jamais été exposés à d’autres cultures mais Varsovie devient de plus en plus internationale. »

Quant aux actes de vandalisme et aux déclarations politiques, cela n’est pour lui en rien représentatif de la société : « C’était un mec bourré qui a vandalisé la mosquée, il y a de l’islamophobie partout, je ne veux pas mettre la faute sur les Polonais et tout généraliser. »

Dans un pays qui a ouvert ses frontières seulement après la chute du mur de Berlin, les premiers immigrés, largement minoritaires, préfèrent se faire discrets. Pour Konrad Pedziwiatr, la perception et la réaction des musulmans face aux actes discriminatoires dépendent avant tout des communautés : « Les musulmans tatars qui sont installés ici depuis longtemps parlent beaucoup plus de ces problèmes alors que les musulmans immigrés, même s’ils reconnaissent le problème, ne veulent pas faire de bruit. »

En attendant, si Hussien vit son expérience paisiblement, Aïden devra surement faire sa valise pour rentrer au Koweït, faute de visa, ne préférant toujours pas dire trop fort en public qu’il est musulman.

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