Espagne : La mosquée-cathédrale de Cordoue n’appartient à personne

 À en croire un récent arrêté municipal, la mosquée-cathédrale de Cordoue (NDLR, un ancien temple romain transformé successivement au Moyen-Âge en église puis en mosquée, avant que ne soit érigée en son sein une cathédrale), n’est pas la propriété de l’Église — qui en était pourtant devenue formellement propriétaire en 2006 pour la somme dérisoire de trente euros — ni celle de qui que ce soit d’autre.

(Photo Flickr/ Bert Kaufmann)
(Photo Flickr/ Bert Kaufmann)

Monument majeur de l’art musulman et de l’art chrétien, la mosquée-cathédrale de Cordoue est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1984. Pourtant, cette attraction touristique phare de la ville de Cordoue, en Andalousie, n’a appartenu à personne durant de nombreuses années.

Depuis 1998, une réforme législative du Parti populaire (parti conservateur, très ancré à droite), remettant au goût du jour un obscur article d’une loi de 1946, autorise l’Église catholique à prendre possession de bâtiments religieux dépourvus de propriétaire officiel. Le tout sans avoir à apporter une quelconque preuve de légitimité. C’est ainsi que celle qui était précédemment connue sous le nom de grande mosquée de Cordoue finit par tomber dans l’escarcelle du diocèse de Cordoue en 2006. Il s’agit là d’un véritable coup de maître de l’épiscopat qui l’a discrètement inscrite comme étant l’une de ses propriétés en déboursant à peine trente euros.

La nouvelle fait évidemment scandale à Cordoue où un collectif de citoyens s’organise pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une « appropriation illicite d’une partie du patrimoine andalou» orchestrée par l’Église. Ils remettent notamment en cause le gommage pur et simple de la mention de mosquée et l’adoption officielle du nom ecclésiastique d’Église-Cathédrale de Notre-Dame de l’Assomption. Très vite, les deux grands partis de gauche d’opposition de l’époque — la Gauche unie et le Parti socialiste — rejoignent les militants et condamnent eux aussi les agissements des évêques en passant une motion au sein du Parlement régional d’Andalousie.

La bataille juridique dépasse de loin les frontières de l’Andalousie. En 2013, le quotidien espagnol El País estime qu’au fil des années, l’Église se serait approprié en toute discrétion près de 4 500 biens dans le pays, le tout pour des sommes dérisoires et sans jamais payer d’impôts.

Si elle ne résoudra certainement pas le problème à l’échelle nationale, la décision rendue par la mairie de Cordoue ce vendredi pourrait bien constituer un précédent historique. Le nouvel arrêté municipal déclare que la mosquée-cathédrale, de par sa nature, ne peut être la propriété « d’une administration publique nationale ou étrangère, d’une personne physique ou morale, ni d’aucune autorité ecclésiastique », ainsi que le rapporte un article paru dans El País. Le monument est donc considéré comme faisant partie du « patrimoine commun de l’humanité », une notion dérivée du droit romain antique.

Comme l’explique le quotidien espagnol, l’arrêté représente l’aboutissement d’une demande effectuée par la branche locale du Parti Populaire afin de vérifier si la municipalité ne serait pas en possession d’un titre de propriété permettant d’invalider la prise de possession de l’Église espagnole. Bien qu’aucun titre de la sorte n’a été découvert, le greffier municipal, un certain Valeriano Lavela Pérez, a prié vendredi les autorités de la ville de demander au tribunal l’annulation de l’immatriculation de la mosquée-cathédrale au nom de l’Église pour manque de preuves de propriété.

Pour justifier sa décision, ce dernier invoque l’inscription du monument au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1984, réaffirmée en 2014, au Qatar, comme étant un « bien de valeur universelle exceptionnelle ». En conséquence, il considère que la mosquée-cathédrale se doit d’être la propriété de « chacun des citoyens du monde […] sans distinction de peuples, de nations, de cultures ou de races ».

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