Des ateliers numériques enseignent la programmation et la modélisation 3D aux enfants et adolescents. Activité comme une autre ou lubie de parents espérant découvrir en leur enfant un petit génie de l’informatique ? À Saint-Germain-en-Laye, visite de l’une de ces « coding schools ».
« Steve a cinq vies. Maintenant, on veut qu’à chaque fois que Steve touche la lave, il perde une vie, et donc un petit cœur. Comment va-t-on faire ?
— On va changer le costume ?
— Exactement. Cliquez sur les petits cœurs et vous verrez les costumes. Quand on a cinq vies, on a cinq cœurs, quand on en a quatre, on a quatre cœurs et ainsi de suite jusqu’à atteindre zéro. Donc on va lui dire qu’en fonction du nombre de vies qu’on a, il va afficher le même nombre de costumes. On veut que le nombre de vies corresponde à la variable. »
La personne qui parle de cœurs et de costumes, c’est Alexandra Bernard, la cofondatrice de la Tech Kids Academy, une « académie numérique » lancée il y a deux ans à Saint-Germain-en-Laye, dans les Yvelines. Steve, qui devrait visiblement songer à éviter les abords d’un volcan, est le héros du mini jeu vidéo que sont en train de créer, en ce vendredi de juillet 2016, huit enfants âgés de 9 à 13 ans. Lors d’un atelier numérique de cinq jours, ils ont non seulement programmé le comportement de leur personnage, c’est-à-dire la manière dont il marche et saute en prenant en compte la gravité du monde, mais ils ont aussi inventé leurs propres niveaux. Chaque jour depuis le début de la semaine, Denis, Clémentine, Maxime, Adrien, Julian, Edward, Markus et François, ont appris à programmer et personnaliser ce jeu de plateforme en 2D avec le programme informatique Scratch, à réaliser un film en stop motion avec des Legos et à modéliser avec une imprimante 3D une pioche, ou une épée, identique à celle que l’on trouve dans le célèbre jeu de construction Minecraft…
Aujourd’hui, dans la salle qu’ils ont utilisée toute la semaine, semblable à un loft New Yorkais rempli d’ordinateurs portables, de tablettes, d’une imprimante 3D et d’autres gadgets, les élèves entament leur dernier jour de stage. À l’aide d’Alexandra Bernard, ils finalisent leur jeu vidéo et vérifient s’il fonctionne correctement. Le tout, bien sûr, après avoir terminé de monter leur film en stop motion, qu’ils pourront ramener chez eux sur une clé USB. « Le mien marche bien, mais il y a quelques petits lags [ralentissements] », regrette Edward, 13 ans. Lui qui affirme avoir déjà créé plusieurs jeux du même type a déjà une idée de ce qu’il aimerait faire plus tard : « ingénieur ou créateur d’applications, ou peut-être de jeux vidéos ». Voire envisager une carrière dans le cinéma burlesque, au vu du scénario de son film en stop motion : « Il y a deux “Steve” dans l’histoire. Le premier Steve réalise qu’il a faim donc il va chercher du pain dans un coffre, mais il se rend compte qu’il y a un squelette dedans. Le squelette lui tire une flèche dessus. Il l’esquive, mais se fait tuer après. L’autre Steve réagit, mais il ne peut rien faire, donc il le regarde. Ensuite, un autre squelette lui court après avec une épée. Il se retrouve en haut alors il déchire l’échelle et lance une torche pour faire exploser une TNT. À la fin, il saute dans l’eau. » Le mini film se révèle d’une intensité quasi insoutenable.
Autant que celui de Denis, 11 ans, qui, à l’aide de Legos, d’une caméra et d’un éclairage travaillé, a réussi à donner vie à son scénario dans lequel des meubles attaquent des gens, qui tombent alors à l’eau et se font manger par des poulpes. Quant à son jeu, dans lequel Steve doit surmonter différents obstacles pour aller toucher une épée et passer au niveau suivant, toujours sans toucher la lave, il fonctionne bien. En revanche, celui de Julian, 9 ans, « bug un peu », lui aussi. « Ça arrive tout le temps, en fait », ajoute-t-il. Il avoue que cette semaine a été un peu difficile pour lui. Continuera-t-il à créer des jeux vidéos ? « Là je pars en vacances juste après, alors non ! » À la rentrée, peut-être, mais pas sûr…
Imaginée il y a quatre ans par Alexandra Bernard et Tony Bassette, son cofondateur et voisin, la Tech Kids Academy, située à deux pas de l’élégant château de Saint-Germain-en-Laye, fait partie d’une vague d’ateliers numériques, de « vacances digitales » ou d’applications d’apprentissage qui ont fait leur apparition ces dernières années France et en Europe. Des programmes qui entendent bien enseigner aux enfants et adolescents d’aujourd’hui à maîtriser les arts du numérique du bout des doigts pour devenir les développeurs, programmeurs, web designers, concepteur, architectes informatiques, bref, les génies de demain. Magic Makers, Coding School, La Compagnie du Code, Cyber-base, Bilboki, Mediakids, pour n’en citer que quelques-uns, proposent « aux enfants et aux écoles une initiation ludique aux arts numériques et aux arts graphiques » pour ne pas qu’ils se laissent « manipuler ou se retrouvent exclus de notre société qui est aujourd’hui envahie par le numérique » et promettent donc ainsi de « donner à vos enfants les clés du monde dans lequel ils vivent ». Être à la pointe des technologies numériques passe ainsi par des stages ponctuels d’une semaine ou par des ateliers à l’année, pour des prix qui peuvent varier entre 25 et près de 800€.
Les enfants apprennent-ils aujourd’hui à coder, à programmer, à développer et à modéliser tout comme on peut jouer au football, aller au judo ou apprendre le piano ? Sans doute. Selon Tony Bassette, en tout cas, la demande est croissante. « Les stages de cet été se sont très vite remplis », explique-t-il. « Au mois de mai, on avait déjà des demandes pour les stages de la Toussaint ! Dès qu’on s’approche d’une période de vacances, on a très régulièrement des demandes pour des vacances beaucoup plus tard ». Et ça ne se limite pas qu’aux geeks ou aux enfants de geeks : « Il y a des profils d’enfants vraiment différents, tout comme chez les parents. Parmi eux, certains sont tombés dans le monde des nouvelles technologies étant petits, mais par manque de temps, d’outils ou de connaissances, ils nous confient leurs enfants pour que nous leurs apprenions les langages qu’eux même utilisent parfois à longueur de journée au travail. On a aussi des parents qui n’y connaissent rien, mais savent que c’est important que leurs enfants s’approprient ces outils. »
Tony Bassette, qui pendant 20 ans a occupé des postes d’administrateur système, de chef de projet, d’architecte logiciel et de développeur, et a « appris à coder en de nombreux langages connus et peu connus », est persuadé que l’enseignement des arts numériques aux enfants ne va pas s’arrêter là. « Ça va continuer à évoluer. D’autres initiatives se développent plutôt autour de l’offre ponctuelle, une ou deux fois par mois. Chez nous, l’idée c’est de mettre en place des formules d’abonnement, comme d’autres apprennent le judo, le basket, la poterie, la cuisine… On parle beaucoup des programmeurs de demain, moi je préfère parler des créatifs de demain, parce que certains vont pouvoir programmer, mais d’autres vont préférer dessiner, faire de la musique avec ces outils. Ils vont s’approprier ces outils technologiques et créer. »
Un potentiel tellement grand que la Tech Kids Academy arrive désormais à Paris pour son programme 2016-2017. Dans le 15e arrondissement de la capitale, la garderie numérique animera des ateliers créatifs à l’École Supérieure du Digital. De quoi peut-être réaliser le rêve de Tony : voir différents enfants qui se sont rencontrés à l’académie travailler ensemble par la suite sur leur propre jeu vidéo, « avec l’un d’entre eux qui s’occupe de la programmation, un autre des graphismes, un autre des bruitages, de la musique… »
Mais au-delà de l’apprentissage des sciences numériques en tant que simple hobby ou activité extra scolaire, n’y a-t-il pas la volonté de révéler le prochain génie du numérique dans ces écoles ? La Tech Kids Academy, en tout cas, aurait déjà vu passer quelques surdoués de l’informatique, « avec des QI qui doivent crever le plafond », si l’on en croit Tony. Dans le stage de l’après-midi, justement, lui et Alexandra attendent un groupe d’élèves plus âgés dans lequel se trouve un garçon de 12 ans qui a déjà assisté à plusieurs de leurs ateliers. Les deux éducateurs ont beau augmenter le niveau de difficulté à chaque fois pour le challenger, il y arrive presque sans aucune explication. « Rien qu’hier, il a découvert une nouvelle plateforme qu’il ne connaissait pas, et pourtant, il a tout fait très rapidement. Il nous a bluffés. Il turbine à une vitesse phénoménale ». Des capacités impressionnantes qui ne font toutefois pas oublier à l’entrepreneur de 42 ans que ses élèves ne sont pas des adultes : « On essaye aussi de préserver leur côté enfant, car on ne veut pas non plus qu’ils grandissent trop vite. »
Il y a aussi eu le cas l’année dernière d’un élève qui refusait de leur dire ce qu’il faisait à chaque fois qu’ils s’approchaient de lui. En faisant son projet tout seul, il est allé plus loin que le reste du groupe : les élèves devaient réaliser un jeu dont le but était de ramasser des pièces, mais lui a préféré réadapter le concept de Super Mario, où de gros cubes libèrent des pièces lorsque le personnage les cogne. Le concept de faire apparaître ou disparaître des objets avait seulement été évoqué par les éducateurs. Un autre élève de six ans a rejoint un groupe d’enfants de 12 ans et terminait ce qu’on lui demandait à une vitesse tout aussi impressionnante. Ou encore cet élève de 12 ans qui fabriquait ses propres drones chez lui et a réalisé une coque personnalisée pour son appareil lors du stage.
Le futur Mark Zuckerberg se trouve-t-il parmi les pensionnaires de ces garderies numériques ? Pour la Tech Kids Academy, l’objectif de tels ateliers n’est pas forcément là. « On parle de génies, mais on a aussi beaucoup d’enfants sujets à des troubles comme la dyspraxie ou la dyscalculie. On les accompagne comme tous les autres enfants », ajoute Tony. Pour les deux animateurs d’ateliers, il s’agit ainsi de les rassurer, de leur faire prendre leur temps, de leur dire que l’erreur est acceptée. Car l’apprentissage des technologies numériques est aussi l’apprentissage d’un certain mode de pensée, celui du trial and error (la méthode essai-erreur), qui se trouve aux fondements du monde digital tel que nous le connaissons aujourd’hui et tel que nous le connaîtrons demain.
« Les enfants ont un imaginaire surdéveloppé qu’ils ont envie de mettre en forme, que ce soit à travers un jeu ou des objets réalisés en 3D. Ce sont des choses qui les intéressent, mais ils ne savent pas par où commencer. Alors on leur dit de venir chez nous ! », continue Tony. « Essayez, trompez-vous, faites différemment et vous y arriverez ».
Et qui sait, peut-être qu’un jour un de ces petits génies trouvera enfin un moyen pour que Steve ne tombe plus dans la lave ?
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