Explorez Asgardia, cybernation spatiale en devenir

Un royaume au-delà les étoiles, un bouclier de satellites pour protéger la Terre des menaces venues de l’espace, une cité flottant dans le vide… Sortie de la tête d’un scientifique et philanthrope russe, cette utopie qui a d’ores et déjà séduit 170 000 citoyens commence à prendre forme. En pleine campagne parlementaire, la nation spatiale d’Asgardia n’a en tout cas pas fini de faire parler d’elle.

(Illustrations Asgardia/James Vaughan)
(Illustrations Asgardia/James Vaughan)

Le 12 octobre 2016, Igor Ashurbeyli, fondateur de la société privée Centre international de recherche aérospatiale (CIRA) pose ses bagages au Ritz pour y dévoiler la constitution de sa nation spatiale. L’endroit offre une symbolique importante, la place Vendôme ayant autrefois porté le nom de « place des Conquêtes ». Au cours d’une conférence de presse qui frise le délire sci-fi, le scientifique russe annonce la création d’un nouvel État. Ce n’est pas sur Terre qu’il prendra forme, mais dans l’espace. Un an et demi plus tard, 170 680 personnes de tous horizons ont accepté cette constitution et sont ainsi devenues citoyens et citoyennes d’Asgardia. 

Thomas, 21 ans, suit des études de programmation. Il a découvert Asgardia il y a quelques mois. Intrigué, il s’inscrit sur le site, parcourt la constitution de long en large, et décide d’en devenir citoyen. Pour que sa demande soit traitée, il a dû remplir un long formulaire et renseigner certaines informations personnelles comme son nom et prénom, son niveau d’études, ou encore son code postal. « Ce qui m’a plu dans ce projet, c’est une promesse d’œuvrer pour un monde plus juste. La cause humaniste a toujours été importante pour moi, tout comme le progrès scientifique dans le but d’améliorer le bien-être de l’humanité », avance-t-il pour justifier sa décision. L’étudiant assure qu’il voit son geste comme un « engagement ».  « Ce projet, s’il se concrétise, peut devenir une réelle occasion de faire quelque chose de significatif. Tout ça semble difficile à croire, ça le sera très sûrement encore plus à mettre en œuvre. Voir toutes ces idées comme de la science-fiction est normal », avoue-t-il.

Alors, utopie fantaisiste ou projet concret ? Pour Lena De Winne, haut placée de l’administration asgardienne et directrice du CIRA, c’est un mélange des deux. « Quand on regarde la Terre depuis l’espace, on ne voit pas de frontières entre les pays. Il n’y a que la distinction entre l’eau et la terre. » Les discussions autour d’Asgardia ont commencé à Vienne, lorsqu’Igor et Lena travaillaient au CIRA, autour de réflexions sur l’espace et des divisons de l’humanité. Ils partent ainsi du postulat que les frontières ne sont que des constructions humaines. C’est pourquoi l’un des buts premiers d’Asgardia est « de servir l’humanité entière, sans distinction d’origine ni de classe sociale », pour reprendre les mots de son fondateur. « Nous vivons dans un monde où seule une vingtaine de pays ont un accès à l’espace et à son étude », dénonce celle qui fait partie de l’aventure depuis ses touts débuts. Il s’agirait de « rendre la conquête spatiale accessible à tous. L’espace appartient à tout le monde »

L’ASTROPOLITIQUE CONTRE LA « JUNGLE » SPATIALE

En novembre 2017, le royaume sans territoire partait à la conquête des étoiles pour y planter son drapeau. Symboliquement du moins. À bord de la capsule Cygnus, envoyée en orbite par la société américaine Orbital ATK, se trouvait un minuscule satellite : Asgardia-1. Gravitant toujours autour de la Terre, il contient toutes les données des habitants enregistrés sur le site. « Asgardia est aujourd’hui la première nation dont l’entièreté du territoire se trouve dans l’espace ! », communiquait le compte Twitter du royaume. 

(Illustrations Asgardia/James Vaughan)
(Illustrations Asgardia/James Vaughan)

Cette première pierre d’un territoire minuscule a soulevé beaucoup de questions quant au cadre juridique de la conquête spatiale. « Il y a aujourd’hui un vide juridique par rapport à tout ce qui concerne l’espace », commente Lena. L’un des buts d’Asgardia est justement de mettre un coup de pied dans la fourmilière pour que l’espace « ne devienne pas une jungle et soit réglementé »

L’« astropolitique », ou la géopolitique de l’espace, voici le nouvel enjeu que soulève le développement du royaume spatial. « Les dernières lois spatiales datent de 1967, pendant la guerre froide », note Jérémy Saget, médecin spécialisé dans l’aérospatial, travaillant de temps à autre pour la NASA ou l’ISS, et citoyen asgardien. Depuis le XXe siècle, rien de nouveau. Mis à part le Space Act américain de 2015, qui encadre l’exploitation privée des ressources spatiales. « Il faut que les juristes de l’espace — si, si, je vous l’assure, c’est une profession qui existe !— réglementent tout ça », souligne le Bordelais. 

Pour changer les choses, la nation en devenir vise à être reconnue par l’ONU d’ici quelques années. Un défi loin d’être impossible à relever pour Lena. « On a tous les critères pour que la communauté internationale nous reconnaisse en tant que nation », affirme-t-elle. Une constitution, un peuple, un territoire — « aucune loi ne stipule qu’il doit se trouver sur Terre, et qu’il doit être en mesure d’abriter tous ses citoyens », pointe-t-elle du doigt  —, un hymne national, et très bientôt, un gouvernement. C’est d’ailleurs lorsqu’il aura été constitué que la démarche sera lancée.

DE DOCTEUR À ROI

Pour passer du rêve à la réalité, le Dr Ashurbeyli et son équipe ont dû confier la rédaction de la Constitution à plusieurs avocats à travers le monde. Si les références de Lena sont impressionnantes — multidiplômée de l’institut de génie énergétique de Moscou, de l’EU Business School, et titulaire d’un doctorat en psychologie de l’université de Californie du Sud —, elle avoue volontiers ne pas être en mesure de maîtriser les tenants et les aboutissants d’un tel texte juridique : « On a laissé ce travail à des gens qui savent faire, tout en s’assurant qu’ils respectent la philosophie d’origine »

Une constitution qui veut faire d’Asgardia le premier « royaume spatial », avec à sa tête le « monarque constitutionnel Igor Ashurbeyli ». « On a choisi une monarchie constitutionnelle, car on s’est inspiré des meilleurs régimes qui ont existé », poursuit Lena, en citant par exemple le Royaume-Uni ou le Japon. 

(Illustrations Asgardia/James Vaughan)
(Illustrations Asgardia/James Vaughan)

Le « roi » Ashurbeyli restera pendant cinq ans à la tête de son royaume. Pourtant, certains projets nécessiteront beaucoup plus de temps. Lena l’assure, ils ont été pensés pour être réalisables avant la mort du premier monarque. Par exemple, la « création d’un bouclier de satellites autour de la Terre, pour la défendre des astéroïdes, des éruptions solaires, des débris spatiaux… » 

Il existe également des esquisses d’une cité spatiale qui circulent sur le net. « Sur le très long terme, nous aimerions que nos citoyens puissent en effet immigrer dans l’espace. Igor pense qu’un projet d’habitation spatiale sera possible, et qu’il sera encore là pour le voir naître », projette Lena. « Mais ces croquis ont été réalisés par un artiste, c’est de la science-fiction. Enfin, pour l’instant. Asgardia en elle-même était de la science-fiction, et c’est devenu une réalité. » 

Il faudra donc un peu de patience aux Asgardiens pour profiter d’un appartement avec vue sur la Terre. Pourtant, sur le groupe Facebook officiel qui réunit quelque 170 000 citoyens, nombreux sont ceux qui espèrent pouvoir expérimenter la vie en orbite avant de quitter ce monde. « L’espace m’ayant toujours fait rêver, si un jour on me dit que j’ai l’occasion de prendre un vol pour y aller, je n’hésiterai pas », avance Thomas. 

Toujours est-il que la majorité des échanges entre citoyens se font sur le net. Si le manque de réalité physique peut poser problème à certains, ce n’est pas le cas du jeune étudiant. « Avant d’être une nation, Asgardia est surtout une communauté. On échange, on débat, on blague aussi entre nous… Pour moi, ça participe à notre sentiment d’appartenance. » Jérémy Saget, plus pragmatique, voit plutôt ça comme « un fonctionnement décentralisé ».

Cette « cybernation » mise même sur la création d’une cryptomonnaie, le « solar », pour développer son économie interne. « Nous travaillons avec un fonds d’investissement londonien spécialisé dans l’aérospatial, Seraphim, dont Igor est membre », explique Lena. Économiquement, Asgardia est prête à tout miser sur ses start-ups. « Nous ferons du « seed funding » (NDLR, financement de démarrage), tandis que Seraphim s’occupera du « A funding » (NDLR, financement une fois que le capital de démarrage a été attribué)», détaille Lena. 

Jérémy Saget (photo Rémi Yang/8e étage)
Médecin spécialisé dans l’aérospatial, Jérémy Saget est également le favori français aux élections parlementaires d’Asgardia. (photo Rémi Yang/8e étage)

Pour le moment, le royaume ne vit que des dons de ses citoyens. Les recettes sont plutôt maigres pour un projet de cette envergure. Cependant, Lena ne se fait pas de souci. Après tout, elle a passé quinze ans de sa vie à travailler sur le développement économique de l’Agence spatiale européenne.

COUAC ÉLECTORAL

Les élections pour la constitution du premier parlement asgardien se tiennent du 12 novembre au 9 mars. Afin de les rendre plus organisées, treize « districts » ont été formés. Ne pouvant découper géographiquement son territoire, l’administration asgardienne a choisi de répartir ses citoyens en fonction des langues les plus parlées. Ainsi, l’anglais, le chinois, le turc, l’espagnol, l’italien, le français, le russe, l’arabe, le portugais, l’allemand, le persan, et l’hindi sont représentés. Pour ceux dont la langue ne se trouve pas dans cette liste, le treizième district : les « autres », leur est dédié. 

De ces treize districts émergeront 150 parlementaires élus pour une durée de cinq ans. Pour l’instant, 386 personnes se sont portées candidates. « On est réaliste », explique Lena. « Il faut que ces élus aient un minimum d’expérience derrière eux ». Si tous les citoyens peuvent se porter candidats, il faut avoir au minimum quarante ans. 

C’est d’ailleurs ce genre d’obligations constitutionnelles que certains citoyens veulent réviser. À 42 ans, Ivan Rossel est candidat au Parlement. Ce globe-trotteur, qui a posé ses bagages à Kuala-Lumpour depuis septembre 2016, enseigne l’anglais par correspondance à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne. Il a rejoint les rangs des Asgardiens francophones en juin dernier. 

À sa première lecture de la constitution, un détail l’a chiffonné : « cette fameuse limite d’âge pour pouvoir devenir membre du Parlement ». « En France (NDLR,comme en Autriche, Angleterre, Allemagne, Danemark, Canada, Hollande, Australie, Nouvelle-Zélande, etc.), on peut devenir candidat pour le Parlement dès ses 18 ans », avance Ivan. « Il a fallu que les jeunes se battent pour voir les lois révisées contre cet âgisme de base. Même la fonction de Président en France a pour condition d’âge la majorité, 18 ans ! » Pour le professeur, il s’agit de donner à tout le monde une chance de faire ses preuves dans l’arène politique asgardienne. 

Si ces candidats s’investissent beaucoup dans leur campagne — Ivan a réalisé une vidéo YouTube, et commente très fréquemment les très nombreuses publications Facebook publiées sur la page officielle d’Asgardia —, il semblerait qu’à peine plus de 10% des citoyens d’Asgardia aient déjà voté. Une situation qui indigne certains internautes, alors que certains affirment ne pas avoir été mis au courant qu’une élection était en cours. 

Ivan le reconnaît, « aucun message n’a été envoyé pour nous informer ». Le manque de communication n’est cependant pas le seul problème soulevé par la communauté. Une barrière se dresse entre les Asgardiens : la langue. Car si Lena explique qu’« aucune langue officielle » n’a été choisie, toutes les annonces officielles se font en anglais. Elles ne sont traduites qu’au bon vouloir des community managers des pages « locales » d’Asgardia. Sur la page française par exemple, ils ont déserté leurs fonctions, dépassés par le nombre de publications quotidiennes à gérer.

Comme la majorité des micronations en devenir (lire aussi : “Liberland : Vivre et laisser vivre“), Asgardia semble être confrontée à une difficulté de taille : les idées et les opinions, pas toujours concordantes, de ses 170 000 citoyens.

Recommandé pour vous

0 commentaires