L’argent fait-il le bonheur ?

Après tout, et si l’argent faisait le bonheur ? C’est la question que nous nous posons dans ce volet de “Jeu de cartes”, notre chronique hebdomadaire toute en cartes. Aujourd’hui, nous vous proposons trois cartes. La première vous dira sûrement quelque chose. Elle classe les pays selon leur produit intérieur brut (PIB) par habitant, l’un des agrégats majeurs des comptes nationaux. Les suivantes sont d’un autre genre. Si elles cherchent également à classer les pays, elles le font en fonction d’une variété de critères, ne se limitant pas à la richesse, visant à quantifier le bonheur des habitants des différents pays.

Doug Wheller
(Photo Flickr/ Doug Wheller)

[MAJ] Chronique initialement publiée en 2014 et mise à jour le 7 mai 2018

Comment mesurer le niveau de vie des habitants d’un pays ? Dans un monde où le libéralisme débridé est devenu la norme, cela ne semble pouvoir se faire qu’à l’aune de la réussite économique. Nous commençons donc cette chronique par une carte on ne peut plus classique, si ce n’est peut-être qu’elle est interactive. Réalisée par la Banque Mondiale à partir des dernières données disponibles, pour l’année 2016, elle classe les pays selon leur produit intérieur brut par habitant (PIB par habitant) en parité de pouvoir d’achat (NDLR, une méthode utilisée en économie afin d’établir une comparaison valable du pouvoir d’achat des devises nationales entre différents pays).

Si la carte ci-dessous repose sur les données de la Banque Mondiale, il faut savoir que ces dernières varient légèrement de celles du Fond monétaire international (FMI), du CIA World Factbook ou du Maddison Project — trois autres sources de référence pour ce type de classement.

Quant à la légende, elle s’avère relativement simple à comprendre : les zones foncées indiquent les pays dont le PIB par habitant est comparativement plus élevé que dans les zones plus claires.

Ce classement nous apprend qu’à l’exception notable du Luxembourg, de l’Irlande, de la Suisse et du Saint-Marin (respectivement en 3e, 8e, 9e et 10e position), peu de pays occidentaux se trouvent encore dans le top 10. La première place est occupée par le Qatar, suivi de Macao (2e). Le reste du TOP 10 étant constitué de Singapour (4e), du Brunei (5e), du Koweït (6e) et des Émirats arabes unis (7e). À noter que les États-Unis n’arrivent de nos jours qu’en 13e position. La France arrive pour sa part en 27e position, derrière l’Allemagne (20e) et le Royaume-Uni (25e).

Rappelons que le concept de PIB, initialement pensé en 1934 par Simon Kuznets, un économiste biélorusso-américain, s’est imposé depuis la conférence de Bretton Woods, en 1944. Longtemps en « concurrence » avec le Produit national brut, le PIB a finalement pris le dessus dans le courant des années 90. Ajoutons qu’en France le PNB n’est plus mesuré depuis 1993.

World Happiness Report, le classement de l'ONU sur le bonheur dans le monde.
Les pays classés selon leur score final dans l’édition 2018 du World Happiness Report, le classement de l’ONU sur le bonheur dans le monde.
(Crédit  jodi.graphics à partir du World Happiness Report 2018)
cliquez pour agrandir

D’autres indicateurs cherchant à mesurer le niveau de vie existent… et ils ne sont pas tous purement économiques ! Ainsi, depuis 2012, l’ONU réalise chaque année son World Happiness Report, qui se propose de classer 156 pays en fonction leur niveau de bonheur. Pour ce faire, il prend en compte une grande variété de facteurs, dont le PIB par habitant, mais aussi l’espérance de vie en bonne santé, la liberté, la générosité, l’aide sociale ou encore la perception de la corruption dans le gouvernement ou les affaires, que les personnes interrogées doivent noter sur une échelle de 1 à 10. Ce classement est intéressant dans la mesure où les gouvernements « utiliseraient de plus en plus les indicateurs de bonheur dans le cadre de la prise de décision et l’élaboration de leurs politiques », à en croire l’économiste américain Jeffrey D. Sachs.

Précisons que pour le réaliser l’ONU se base sur un panel d’environ 1000 personnes interrogée chaque année par pays, il convient donc, comme toujours, de prendre ces résultats pour ce qu’ils sont : un simple instantané, imparfait, permettant seulement de se faire une idée des tendances générales. De plus, il convient d’ajouter que, si tant est que le bonheur soit seulement quelque chose de mesurable, de nombreux critiques considèrent que les critères choisis dans le but d’établir un classement des pays en fonction du bonheur restent hautement discutables.

La carte ci-dessus a été réalisée par les équipes du média grec Jodi.graphics afin d’illustrer les résultats de l’édition de 2018 du World Happiness Report. Le code couleur est facile d’accès. Plus un pays tend vers le bleu foncé, plus son score est élevé. À l’inverse plus un pays tend vers le rouge, plus bas il se situe dans le classement.

On y apprendra que cette année, c’est la Finlande qui ravit à la Norvège (7,594) la première place du classement, avec un score de 7,632. Les deux pays scandinaves sont suivis du Danemark (7,555), de l’Islande (7,495), de la Suisse (7,487), des Pays-Bas (7,441) et du Canada (7,328). Vous serez peut-être surpris d’apprendre que la France, avec un score de 6,489, arrive pour sa part à la 23e position, soit un bond en avant de huit places par rapport à l’année dernière. Ce qui n’empêche pas l’hexagone d’encore arriver derrière l’Allemagne (6,965), les États-Unis (6,886) ou encore le Royaume-Uni (6,814).

À l’inverse, les trois pays les moins heureux du monde seraient selon ce classement le Soudan du Sud (154e avec un score de 3,254), la République centrafricaine (155e avec un score de 3,083) et enfin le Burundi (156e avec un score de 2,905). Ces pays très pauvres ont également comme point commun d’être touchés par des violences ethniques.

World Happiness Report, le classement de l'ONU sur le bonheur dans le monde.
Évolution du niveau de bonheur entre les périodes 2008-2010 et 2015-2017 selon les résultats du World Happiness Report, le classement de l’ONU sur le bonheur dans le monde.
(Crédit  jodi.graphics à partir du World Happiness Report 2018)
cliquez pour agrandir

Enfin, notre dernière carte est également une réalisation des équipes du média grec Jodi.graphics. Elle s’intéresse cette fois à l’évolution du niveau de bonheur entre les périodes 2008-2010 et 2015-2017 selon les résultats du World Happiness Report, le classement de l’ONU sur le bonheur dans le monde. Le code couleur est similaire à celui de la carte précédente : les pays en bleu foncé ayant réalisé la plus forte progression, alors que les pays en rouge ont régressé.

C’est le Togo, petit pays d’Afrique de l’Ouest dont la population est estimée en 2015 à environ 7,5 millions d’habitants, qui a connu la progression la plus importante (+1,191) entre ces deux périodes. Un résultat d’autant plus remarquable que, comme le souligne le média américain NPR, le pays arrivait à la dernière place du classement en 2015. Il est suivi de la Lettonie (+1,026) et de la Bulgarie (+1,021).

À l’inverse, les plus grosses chutes ont été enregistrées par la Syrie (-1,401), le Malawi (-1,561) et le Venezuela (-2,167).

Il est également intéressant de constater ici la forte régression des États-Unis (-0,315) qui, un an après l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, ont encore perdu 4 places, se retrouvant à la 18e position. Selon l’économiste du développement Jeffrey Sachs, interrogé par l’agence de presse Reuters, elle s’expliquerait par des phénomènes tels que l’obésité, l’usage de stupéfiants et les dépressions non traitées, en hausse ces dernières années. Même constat côté français, où entre les périodes 2008-2010 et 2015-2017 le niveau de bonheur aurait diminué de 0,208.

Le rapport 2018 portant sur le bonheur dans le monde met un accent tout particulier sur le niveau de bonheur des immigrés. Il comprend pas moins de quatre chapitres sur les migrations internes et internationales. 117 pays y sont ainsi classés selon le niveau de bonheur de leurs immigrés. Il est intéressant de noter que le bien-être des migrants tend à s’aligner sur celui de la population du pays. Ainsi, la Norvège arrive également en première position au classement du bonheur de ses immigrés.

Rappelons enfin que certains pays ont décidé de se passer des indices mondiaux pour calculer le bien-être de leurs habitants. C’est par exemple le cas du Bhoutan, où les autorités calculent au travers de sondages le Bonheur national brut (BNB). Cet indice inédit, mis en place par la petite monarchie d’Asie du Sud il y a plus de 40 ans pour remplacer le PNB, se base sur le niveau de contentement plutôt que sur la situation financière de ses habitants. Depuis plusieurs dizaines d’années, il veut encourager à la fois une croissance et un développement économique responsables, la protection de l’environnement et la sauvegarde de la culture bhoutanaise.

À noter que cette année, le pays doté du 162e PIB mondial ne pointe qu’en 97e position du World Happiness Report. Il faut dire que de nos jours, un Bhoutanais sur dix vivrait encore sous le seuil de pauvreté, que l’alcoolisme et la toxicomanie y seraient répandus et que le chômage toucherait plus de 7% des jeunes.

Le sujet vous intéresse ? Pour les anglophones, nous vous invitons à consulter directement le World Happiness Raport, disponible en téléchargement ici. Les données de la Banque mondiale sont intégralement disponibles, en français, sur son site Internet. Enfin, si vous voulez en savoir plus sur le Bhoutan et le BNB nous vous invitons à regarder ce passionnant reportage d’Arte datant de 2014. Bonne lecture et bon visionnage.

Recommandé pour vous