[Jeu de cartes] : La Terre des milliardaires 🔒

Après de longs mois d’absence, “On [re]dessine le monde” revient sur 8e étage sous une nouvelle forme intitulée “Jeu de cartes”. Pour ceux et celles qui n’en connaîtraient pas le principe, cette chronique a pour objectif d’explorer des aspects méconnus de notre planète à travers des cartes et des graphiques. De nos jours, l’argent demeurant plus que jamais le nerf de la guerre, nous abordons aujourd’hui le sujet des ultras riches. Comment sont-ils répartis géographiquement ? Parmi eux, combien d’héritiers ? Combien de self-made-men ?

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Pour certains, c’est un symbole du capitalisme par excellence. Le taureau de Wall Street est une sculpture en bronze de l’artiste Arturo Di Modica située près de Wall Street, la bourse de New York.
(Photo Flickr/ Sam valadi)

« L’écart entre la frange la plus riche et le reste de la population s’est creusé de façon spectaculaire au cours des douze derniers mois ». En janvier 2016, l’ONG britannique Oxfam tirait une fois de plus le signal d’alarme. Selon les résultats d’une étude réalisée à l’approche du forum économique mondial de Davos, en Suisse, « les 1 % les plus riches possèdent désormais davantage que l’ensemble des 99 % restants ».

Alors qu’il y a seulement six ans, 388 personnes possédaient « autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale », ce nombre est descendu à 62 en 2016. Un problème de taille, selon l’ONG qui dénonce les choix de ces ultras riches, qui n’hésiteraient pas à faire « usage de leur pouvoir et de leurs privilèges pour biaiser le modèle économique et creuser le fossé qui existe entre eux et le reste de la population ». Autre problème de taille : l’existence d’un « réseau mondial de paradis fiscaux » qui aurait « permis aux plus riches de cacher quelque 7 600 milliards de dollars ». « La lutte contre la pauvreté est vaine si la crise des inégalités n’est pas résolue », conclue Oxfam.

La carte Oxfam des paradis fiscaux en décembre 2016. (Capture d'écran  http://taxheavens.oxfamdigitalwin.com)
La carte Oxfam des paradis fiscaux en décembre 2016.
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(Capture d’écran :  http://taxheavens.oxfamdigitalwin.com)

À noter que la méthodologie utilisée par l’ONG — qui n’a de cesse de la défendre — demeure contestée par plusieurs économistes depuis 2015, comme le rappelait alors Le Monde. En effet, l’ONG se base pour ses calculs sur le patrimoine net, composé du patrimoine brut, soit l’ensemble des biens possédés évalués au prix du marché, moins les dettes et autres engagements financiers. Un choix qui est loin de faire l’unanimité.

Cependant, les conclusions d’Oxfam restent toujours valables en 2017. Si vous en doutez encore, rappelez-vous qu’il s’agit de l’année où le seuil symbolique des 2 000 milliardaires a été franchi pour la première fois. Un « signe révélateur de la “tonicité” et de la “bonne santé” des marchés actions, notamment américains », selon Forbes.

Il est décidément impossible de les ignorer ces très riches. Chaque année, de nombreux classements de milliardaires de France et du monde, dont les plus connus du grand public sont certainement ceux réalisés par Forbes, sont là pour nous rappeler leur existence.

Vous êtes vous déjà demandé ce que pourrait donner une carte détaillant la répartition géographique des alter ego de Bill Gates (première fortune mondiale) ou Bernard Arnault (en tête du palmarès français) ? En septembre dernier howmuch.net, un site d’information spécialisé dans la réalisation de cartes et guides détaillés pour mieux comprendre le fonctionnement de l’économie mondiale, l’a fait :

( howmuch.net)
“La carte des milliardaires du monde, par pays et origine de leur fortune”
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(Source :  howmuch.net)

Afin de bien comprendre cette carte, il convient tout d’abord de préciser qu’il n’y figure que les pays du monde accueillant des personnes considérées comme étant milliardaires en dollars américains. La taille de chaque pays étant déterminée par son nombre total de milliardaires — c’est la raison pour laquelle Hong Kong ou Singapour occupent beaucoup plus de place que de grands pays africains comme l’Angola ou l’Ouganda. Autre précision, les données utilisées pour obtenir cette représentation graphique sont issues d’un rapport du Peterson Institute for International Economics en date de février 2016 qui se base lui-même sur des statistiques de 2014.

Quoi qu’il en soit, cette représentation visuelle a le mérite de nous permettre de dresser un certain nombre de constats. Tout d’abord, il apparaît de façon flagrante que les États-Unis comptent bien plus d’ultras riches que le reste du monde. Avec 30,2% du total en 2014, ils sont très loin devant la Chine (9,2%) ou encore la Russie (6,7%), les deux pays qui viennent compléter le trio de tête. La France (qui selon Forbes compte 39 milliardaires en 2017) arrive loin derrière avec seulement 2,6% de ces derniers. Remarquez aussi la disparition quasi totale de l’Afrique, à quelques exceptions près, et de l’Amérique centrale.

Cependant, cette carte ne se contente pas de montrer la répartition des milliardaires dans le monde, elle les classe également en différentes catégories représentées par un code couleur. En rouge : les héritiers. En vert : les créateurs d’entreprise. En bleu : les dirigeants d’entreprises. En orange : ceux qui ont acquis leurs fortunes au travers de liens politiques et/ou en exploitant des ressources naturelles. En jaune : ceux qui sont devenus riches grâce à la finance.

"Distribution de la richesse par catégories de milliardaires dans les économies développées". (Source  Peterson Institute for International Economics)
“Distribution de la richesse par catégories de milliardaires dans les économies développées”
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(Source :  Peterson Institute for International Economics)

On s’aperçoit immédiatement que la composition varie très fortement selon les pays. Ainsi, aux États-Unis, les types de milliardaires s’équilibrent relativement bien avec 28,9% de fortunes héritées, 32,1% de très riches créateurs d’entreprise et 26,8% de fortunes acquises dans le secteur financier. Les dirigeants d’entreprises n’y représentent que 8,4% des milliardaires et la part de ceux qui ont fait fortune grâce à des liens politiques et/ou des ressources naturelles s’avère très faible (3,8%). Une conséquence de la philosophie de laissez-faire du gouvernement (NDLR, courant de pensée économique et politique qui s’oppose essentiellement de nos jours aux politiques interventionnistes) à en croire howmuch.net.

En Chine, la répartition diffère quelque peu. On y compte pratiquement aucun héritier (2%) — ce qui peut s’expliquer par le fait que le pays demeurait relativement pauvre avant de connaître un succès économique fulgurant au cours des dernières décennies. Rien de bien étonnant donc à ce que 40,1% des milliardaires chinois soient des personnes qui ont crées leur entreprise, que 25% soient des dirigeants et que 23,7% aient fait fortune dans le monde de la finance. Cependant, en matière de fortunes qui découlent de la création d’entreprises, la Chine reste loin derrière le Japon qui sort son épingle du jeu avec 63% de milliardaires de ce type.

À noter qu’en Chine le pourcentage de ceux ayant acquis leur fortune grâce à des liens politiques et/ou des ressources naturelles monte tout de même à 9,2%. Une réalité bien différente de celle qui prévaut en Russie — économie de rente par excellence qui s’appuie en grande partie sur l’exploitation d’importantes réserves de ressources naturelles (comme le gaz naturel, le pétrole, mais aussi divers métaux) — où près de 64% des grandes fortunes se sont bâties dans le secteur de l’énergie et/ou grâce à des liens politiques.

Cela en surprendra également peu de constater que les milliardaires de la vieille Europe sont principalement des héritiers, exception faite du Royaume-Uni. C’est par exemple le cas en Finlande (100%), au Danemark (83,3%), en Suisse (72,7%), en Grèce (66,7%), en Allemagne (64,7%), en Suède (63,2%), en Espagne (53,8%), mais aussi en Autriche (40%) ou encore en Irlande (40%) pour ne citer que quelques exemples. On trouve également une forte proportion d’héritiers dans des pays d’Asie, comme la Corée du Sud (qui compte 74,1% de milliardaires héritiers), du Moyen-Orient, comme au Koweït (100%), en Égypte (71,4%) ou encore au Liban (66,7%), mais aussi en Amérique du Sud, à l’instar de l’Argentine (80%), du Brésil (47,7%) ou du Chili (66,7%).

Avec 51,2% d’héritiers, la France se situe donc au-dessus de la moyenne européenne (35,8%) et mondiale (30,4%). Un bémol cependant, il existe dans l’hexagone un dynamisme certain dans la mesure où le pays compte tout de même 37,2% de milliardaires qui doivent leur fortune à la création d’une ou de plusieurs entreprises. Ils continuent d’ailleurs d’avoir le vent en poupe. Le classement Forbes 2017 nous apprenait qu’en France, la proportion de milliardaires-entrepreneurs est dorénavant équivalente à celle des héritiers, et dans le top 10, la répartition bascule même à 70/30.

Le sujet vous intéresse ? Nous vous invitons à consulter dans son intégralité le rapport publié en février 2016 par le Peterson Institute for International Economics. Quant au classement Forbes 2017 des milliardaires français, il est disponible ici. Bonne lecture.

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