Cette semaine, dans « Jeu de cartes », nous avons décidé de nous pencher sur le fascinant travail d’une équipe de chercheurs de l’université du Texas à Austin. Cette dernière a eu la bonne idée de mettre à contribution des voitures de Google Street View, équipées d’une variété de capteurs environnementaux, pour dresser une carte très détaillée de la pollution atmosphérique de la ville d’Oakland, en Californie. À l’heure où un climatosceptique loge à la Maison-Blanche, cette approche originale a le mérite de donner un caractère extrêmement concret à un phénomène on ne peut plus réel, mais qui peut parfois, en raison de sa nature, sembler peu tangible pour certains.

Fin mai, la ville de Paris mettait en place un dispositif novateur visant à mieux évaluer la pollution de l’air : Pollutrack. D’ici la fin de cet été, il devrait notamment permettre de mesurer la concentration en particules fines et très fines de l’air de la capitale grâce à des capteurs embarqués sur les toits de véhicules Enedis.
Cette – excellente – initiative fait écho aux récents travaux d’une équipe de chercheurs de l’université du Texas à Austin, aux États-Unis. Après près d’un an passé à collecter des données grâce à des capteurs installés sur des voitures Google Street View, ces derniers viennent de dévoiler leurs résultats sous la forme d’une carte, extrêmement précise, de la pollution à Oakland, une ville de la côte ouest des États-Unis située dans la baie de San Francisco, dans l’État de Californie (ci-dessous) :

cliquez pour agrandir (Crédit : American Chemical Society)
Selon les chercheurs, ce que vous avez sous les yeux est un fragment de la carte de la pollution de l’air la plus précise jamais réalisée pour une aire urbaine — et avec plus de 200km2, elle impressionne par sa taille. Les voitures Google ont en effet quadrillé la ville, pâté de maisons par pâté de maisons, parcourant ce faisant plus de 14 000 miles, soit 22 530 kilomètres. Les capteurs ont permis de collecter plus de trois millions de relevés de niveaux de monoxyde d’azote (NO), de dioxyde d’azote (NO2) et de noir de carbone (BC), trois des principaux polluants de l’air. Il s’agit de l’un des plus grands ensembles de données jamais mesurés dans les rues d’une seule ville.
Résultat : selon ces observations, il apparaît très clairement que la pollution de l’air peut varier du tout au tout en l’espace de seulement quelques dizaines de mètres. Une information qui pourrait nous amener à revoir, comme à Paris, notre manière de mesurer la pollution atmosphérique. Les résultats complets ont été publiés ce lundi dans la revue scientifique Environmental Science & Technology.
Dirigée par Joshua Apte, professeur adjoint à la Cockrell School of Engineering, l’étude a été réalisée en partenariat avec plusieurs universités du pays, dont l’université de Washington, l’université de British Columbia, l’université d’Utrecht et le laboratoire national Lawrence Berkeley. On dénombre également d’autres partenaires, publics et privés, dont le Fonds de défense de l’environnement américain (FDE), mais aussi Google et la société Aclima, une entreprise californienne spécialisée dans la production de capteurs environnementaux.

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(Crédit : American Chemical Society)
Comme le souligne le site Internet d’information scientifique Phys.org, qui a attiré notre attention sur cette étude, la pollution atmosphérique est une cause majeure de maladies et de décès dans le monde. Rien qu’en France, ce sont 17 700 décès qui pourraient chaque année être évités si notre pays respectait les limites d’exposition journalière aux particules PM2,5 (NDLR, des particules fines dont le diamètre est inférieur à 2,5 micromètres) fixées par l’OMS.
Problème : de nos jours, la qualité de l’air s’avère en réalité souvent bien inférieure à ce que nos appareils de surveillance nous indiquent. Comme l’explique Phys.org, dans la plupart des aires urbaines étasuniennes, on dénombre en moyenne un appareil tous les 100 ou 200 miles carrés, soit environ tous les 259 ou 517km2. Pour leur part, les chercheurs de l’université du Texas à Austin ont réussi à cartographier la pollution tous les 100 pieds, soit tous les 30 mètres environ. Cela correspond, aux États-Unis, à 4 ou 5 points de mesure le long d’un pâté de maisons standard. À en croire les chercheurs, leur technique serait 100 000 fois plus efficace, en termes de résolution spatiale, que les détecteurs de qualité de l’air traditionnels du gouvernement.
Ils se disent convaincus que la mise en place de leur système de mesure dans nombre de grandes villes du monde pourrait fournir aux citoyens, aux familles, aux mairies et aux scientifiques, des informations autrement plus précises que celles qu’ils reçoivent à l’heure actuelle, participant ainsi d’une prise de conscience salutaire du problème posé par la pollution atmosphérique. Selon leur raisonnement : en étant capable de mieux mesurer la qualité de l’air de nos zones urbaines, nous prendrions autrement plus conscience des effets néfastes que la pollution peut avoir sur notre santé.
« La pollution de l’air varie très finement dans l’espace, et nous ne pouvons pas capturer cette variation par le biais d’autres techniques de mesure existantes », a expliqué Joshua Apte à Phys.org. « En utilisant notre approche et nos techniques d’analyse, nous pouvons maintenant visualiser la pollution de l’air avec un incroyable niveau de détail. Ce genre d’information pourrait révolutionner notre compréhension des sources et de l’impact de la pollution de l’air ».
Dans de nombreux endroits, les voitures Google ont mesuré des niveaux de pollution plusieurs fois plus élevés que ceux des appareils de surveillance de la ville d’Oakland. Les chercheurs ont aussi pu isoler au sein d’un seul pâté de maisons des “points chauds” où la pollution atmosphérique était de façon récurrente plus élevée qu’ailleurs dans le voisinage. Parmi ceux-ci : le port de la ville, mais aussi des intersections fréquentées, des restaurants, des hangars, des installations industrielles ou encore des concessionnaires. « Ce qui nous a surpris, c’est qu’il y a de manière consistante des lieux qui peuvent être jusqu’à six fois plus pollués à une extrémité du pâté de maisons qu’à l’autre », confie Kyle Messier, l’un des coauteurs de l’étude. « Entre autres choses, cela montre que les gens sont exposés de manière disproportionnée à un air malsain dans certains endroits », conclut-il.
L’espoir des chercheurs ? Que leur méthode, qu’ils considèrent comme rentable et facile à reproduire, permette aux communautés et aux décideurs de mieux identifier les sources de pollution et de prendre les décisions qui s’imposent pour améliorer la sécurité et la santé des habitants. À l’échelle de la ville d’Oakland, cela pourrait par exemple passer par une priorisation de quartiers particulièrement touchés, comme l’explique Steven Hamburg, chercheur au Fonds de défense de l’environnement : « La pollution de l’air constitue largement une menace invisible, une qui entraîne des risques disproportionnés dans des quartiers à faibles revenus, comme l’ouest d’Oakland ».
« Vous pourriez utiliser cette information quand vous choisissez une école pour vos enfants. Est-ce qu’il y a une école avec une cour de récré qui pourrait avoir une meilleure qualité de l’air pour votre enfant qui a de l’asthme ? », ajoute Joshua Apte. « Cette information hyper locale à propos de la qualité de l’air peut être très utile aux gens, particulièrement à ceux qui sont vulnérables en raison de leur âge ou leur état de santé ».
Ne pensez vous pas que l’étude est trompeuse en entretenant la confusion entre haute résolution des mesures et précision des résultats ? Avec une telle sensibilité, le fait que les mesures aient été faites sur une très longue période de temps ne permet pas de conclusions générales…