Spécial Journée internationale de la langue maternelle [Jeu de cartes]

 On dénombrerait près de 6000 langues sur Terre. Les 21 les plus parlées le seraient par près des 2/3 des habitants de la planète bleue, ce qui laisse 5979 langues au tiers restant. À l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, célébrée tous les 21 février depuis maintenant 18 ans, “Jeu de cartes” vous propose une chronique sur la diversité linguistique et le multilinguisme.

(Photo Flickr/ Eric Andresen)
(Photo Flickr/  Eric Andresen)

[MAJ] Article initialement publié en février 2015 et mis à jour le 5 mars 2018

Le 21 février 1952, des dizaines d’étudiants tombaient sous les balles de la police pakistanaise à Dhaka (la capitale actuelle du Bangladesh). Ce jour-là, ils se sacrifiaient dans l’espoir que leur langue, le bengali, soit officiellement reconnue langue officielle, au même titre que la langue urdu, dans ce qui était à l’époque le Pakistan. Ces « martyrs de la langue » inspireront, près d’une dizaine d’années plus tard, un mouvement sécessionniste bien plus large qui finira par aboutir à l’indépendance du Pakistan oriental. En 1971, le Bangladesh était né. Le nom du pays fait d’ailleurs explicitement référence à la langue bengali. Les droits linguistiques s’inscrivent donc comme une composante fondamentale d’un pays faisant du 21 février un jour férié.

Près de 30 ans plus tard, l’UNESCO déclare le 21 février Journée internationale de la langue maternelle. Un geste fort en faveur de la lutte pour la survie des langues minoritaires et/ou en voie d’extinction, mais aussi une invitation aux différents pays du monde à embrasser le multilinguisme ainsi que le respect de la diversité linguistique et culturelle. Le thème de l’édition 2018 ? « La préservation de la diversité linguistique dans le monde et la promotion du multilinguisme en vue de réaliser les objectifs de développement durable ».

Avant de s’aventurer plus loin, il convient de rappeler ce qu’est exactement une langue maternelle (ou langue natale). Nous en donnions déjà la définition dans une précédente chronique sur les secondes langues natales les plus parlées. Petite piqûre de rappel, il s’agit, d’après le Larousse, de la « première langue apprise par un sujet parlant (dit alors locuteur natif) au contact de l’environnement familial immédiat ». Il s’agit donc d’un moyen d’expression qui s’acquiert au cours de l’enfance et permet de mettre en œuvre les mécanismes de socialisation ainsi que de former les fondements d’une identité en exprimant son appartenance à une certaine culture.

Ajoutons enfin que notre langue maternelle se révèle aussi l’un des composants les plus importants de notre identité nationale, généralement plus encore que notre lieu de naissance. C’est du moins ce que révélait au printemps 2016 un sondage du centre de recherche américain Pew Research Center.

Les Familles de langues du monde.  (Crédit : Aucassin d'après File:Sprachfamilien der Welt (non Altai).png (Own work) [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons cliquez pour agrandir
Les Familles de langues du monde.
(Crédit : Aucassin [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons)
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Afin de mieux cerner le sujet, notre première carte de la semaine s’intéresse aux différentes familles linguistiques. Notons ici qu’il n’est pas évident de trouver une carte ne prenant en compte que les principales familles de langues — la plupart d’entre elles mélangeant allègrement familles et sous-familles.

Cette carte, en provenance de Wikipédia, n’est pas parfaite. Elle permet néanmoins plusieurs analyses. En premier lieu, il est impressionnant de constater l’étendue du « monde des langues dites indo-européennes » (en vert pomme), une famille de langues étroitement apparentées et toutes dérivées de ce que l’on appelle l’indo-européen commun (langue vraisemblablement parlée par les peuples du même nom entre 4500 et 2500 ans avant Jésus-Christ).

De nos jours, plus de trois milliards de locuteurs auraient comme langue maternelle une langue indo-européenne sur notre planète. Cela représente tout de même un peu moins de la moitié de la population mondiale.

 

 

Il est également intéressant de noter que si les langues afro-asiatiques (aussi appelées chamito-sémitiques) — qui appartiennent à une famille de langues parlées au Moyen-Orient, en Afrique de l’Est et dans le nord de l’Afrique — arrivent en seconde position sur le plan du territoire couvert, elles ne comptent que près de 410 millions de locuteurs natifs, dont 290 millions parlent l’arabe. À l’inverse, la famille des langues sino-tibétaines — parlées en Asie de l’Est, Asie du Sud-Est, Asie centrale et Asie du Sud — bien que recouvrant une superficie moindre, compte près de 1,37 milliard de locuteurs natifs (les 10 langues dites sinitiques comptent dans ce calcul pour près de 1,3 milliard de locuteurs).

C’est donc sans surprise que l’on apprendra que les trois langues les plus parlées au monde sont, dans l’ordre, le mandarin (1,29 milliard de locuteurs natifs répartis dans 38 pays), suivi de l’espagnol (442 millions de locuteurs natifs répartis dans 31 pays), puis enfin de l’anglais (378 millions de locuteurs natifs dans 118 pays). Le français trône pour sa part à la 14e place avec 76.8 millions de locuteurs natifs répartis dans 53 pays, selon les statistiques de l’excellent site Ethnologue, une publication visant, depuis 1951, à inventorier toutes les langues du monde.

Les langues en danger. Les points rouges représentent les langues en danger critique d'extinction. En orange, celles en grave danger. En jaune, celles en danger.
Les langues en danger. Les points rouges représentent les langues en danger critique d’extinction. En orange, celles en grave danger. En jaune, celles en danger.
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Il est également fascinant d’apprendre que s’il existe 141 langues officielles (NDLR, des langues spécifiquement désignées comme telles au sein de la Constitution ou les textes de loi d’un pays) dans les différents pays du monde — auxquelles il faut y ajouter 31 langues officielles « à vocation régionale » — on connaît l’existence de près de 6000 langues, vivantes ou mortes. Parmi celles-ci, plus de la moitié seraient menacées de disparition imminente.

96% d’entre elles ne seraient parlées que par un peu plus de 3% de la population mondiale. De plus, en 2006, 90% d’entre elles n’étaient pas représentées sur Internet. À en croire, l’ONG américaine The Language Conservancy, une langue disparaîtrait tous les cinq mois.

Revenons-en brièvement au Bangladesh, pays sans l’existence duquel il n’y aurait peut-être jamais eu, après tout, de Journée internationale de la langue maternelle. Malgré l’histoire du pays, le bengali y demeure la seule langue officielle. On estime qu’en 2011, elle était la langue natale de plus de 75 % de la population du pays. L’anglais, très présent dans les sphères officielles et économiques, ne bénéficie pas d’un statut particulier, mais est parfois regardé comme étant, de fait, la seconde langue officielle du pays. En revanche, comme le montre bien la carte ci-dessus, il existe dans le pays une grande diversité de langues régionales. On en recense au total plus d’une trentaine — dont seules les branches principales sont représentées sur la carte ci-dessus.

Cela vous paraît beaucoup ? Sachez que ce n’est vraiment pas grand-chose en regard de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. En effet, la population de ce petit pays d’Océanie occupant la moitié orientale de l’île de la Nouvelle-Guinée parlerait encore pas moins de 839 langues. C’est trois fois plus de langues vivantes que de nos jours sur le continent européen !

Comme vous pouvez le constater sur la carte ci-dessous, ces pays sont loin d’être des exceptions, ainsi dans cinq autres pays du monde (la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Nigéria et l’Indonésie) on parlerait encore de nos jours plus de 300 langues. La carte ci-dessous, création du site Ethnologue, indique les 10 pays du monde où l’on parlait le plus grand nombre de langues en 2015 :

Les pays où l'on parle le plus grand nombre de langues. cliquez pour agrandir
Les pays où l’on parlait le plus grand nombre de langues en 2015.
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Quid de la France ? Comme vous le savez sûrement, l’hexagone, tout comme l’Allemagne voisine, ne compte, bien sûr, qu’une seule langue officielle. Il existe cependant un grand nombre de langues régionales ou minoritaires dans le pays — les appellations dialectes, parlers ou patois sont parfois préférés. La carte ci-dessus recense les plus importantes dans chaque région de France :

Il va de soi que certaines d’entre elles sont mieux préservées que d’autres. Dans certaines régions, les langues régionales peuvent être enseignées comme secondes langues vivantes dès la classe de 4e (devenant donc la seconde langue vivante de l’élève). Sont concernées le basque, le breton, le catalan, le corse, l’occitan langue d’oc ainsi que la langue régionale d’Alsace et des pays mosellans.

Ainsi, il est tout à fait possible pour les habitants de ces régions de placer leurs enfants dans des écoles bilingues spécialisées, par exemple les écoles bilingues occitanes et provençales à l’instar des écoles calandretas, les écoles bilingues bretonnes comme les écoles Diwan, ou encore des écoles privées « Ikastola » où l’enseignement se fait à la fois en basque et en français.

D’autres pays, à l’image de la Belgique, du Luxembourg, de la Finlande ou de la Suisse ont plusieurs langues officielles. Dans d’autres encore, comme en Italie, en Espagne ou aux Pays-Bas, il n’y a bien qu’une seule langue officielle, mais il faut y ajouter des langues régionales co-officielles dans certaines régions.

Heureusement, il existe dans le monde une grande diversité d’initiatives visant à préserver les langues menacées. Certaines passent par le biais d’organisations non gouvernementales, par exemple Linguapax ou The Language Conservancy, d’autres par les médias sociaux, voire certaines par le biais des arts.

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Et, au fait, vous saviez dire le mot paix dans combien de langues vous ?
(source : Oxford Dictionaries)
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Un très bon exemple en la matière est le groupe de hip-hop guatémaltèques Balam Ajpu (les “guerriers jaguars”), qui s’est donné pour mission de redonner vie à une langue précolombienne : le tz’utujil. Les membres espèrent capter l’intérêt des jeunes du pays en rappant dans un mélange de tz’utujil et d’espagnol, tout en leur en apprenant davantage sur l’histoire de leurs ancêtres mayas.

Nos lecteurs réguliers se rappelleront peut-être également du jeune rappeur Mc Kunumi, de la tribu des Guarani-Kaiowá, devenu porte-voix des revendications des communautés indiennes au Brésil. Il évoque dans ses morceaux en portugais et en guarani la marginalisation des communautés indigènes du Brésil et les pressions qu’elles subissent.

 

 

Le sujet vous intéresse ? Nous vous invitons à surveiller le site de l’UNESCO qui organise régulièrement des évènements en marge de la Journée internationale des langues maternelles. Si vous souhaitez en apprendre plus, voire vous engager dans le combat permanent qu’est la préservation des langues, vous pouvez également aller faire un tour sur les sites de Linguapax ou de The Language Conservancy. De plus, pour les utilisateurs du réseau social Twitter, n’hésitez pas à faire une recherche avec le hashtag #MotherLanguage. Bonne lecture !

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