Donetsk, nouvel eldorado du tourisme de guerre

« Offrir une vision de ce qu’est la vie à Donetsk en une semaine de temps », c’est le but du voyage proposé par Christelle Néant aux francophones soutenant la cause d’un Donbass indépendant. Alors qu’en Ukraine les adeptes du tourisme macabre peuvent visiter Tchernobyl, dans la région sécessionniste prorusse de l’est du pays la jeune femme leur propose une fenêtre sur le quotidien des civils dans une région déchirée par la guerre.

Donetsk, septembre 2016. (photo Joao Bolan/8e étage)
Donetsk, septembre 2016. (Photo Joao Bolan/8e étage)

Christelle Néant est Française. Elle a quitté son pays avec chien et voiture et a parcouru plus de 4000 kilomètres pour venir aider la République populaire de Donetsk en tant que « soldat de l’information ». Au sein de l’agence de « réinformation » Donipress, créée par le Finlandais Janus Putkonen, la jeune femme a élaboré un programme complet pour offrir ce qu’elle considère être « une vision objective de ce qu’est la vie à Donetsk en une semaine de temps ». Un projet essentiel, selon elle, puisque depuis le début du conflit ukrainien, près de 10 000 personnes ont perdu la vie.

Dans un café de la place Lénine de Donetsk, la jeune femme nous a expliqué son parcours et confié ses espoirs. La démarche de Christelle vise à « jeter des ponts avec les pays européens afin de contourner le blocus médiatique ». Comme bon nombre de Français très proches des rebelles, elle considère que l’information occidentale soutient le régime de Kiev. Quand nous prononçons l’expression « tourisme de guerre », elle réagit immédiatement, « je n’aime pas trop le terme tourisme, car je trouve que ça fait voyeur ». Les curieux seront rassurés, elle n’accueille pas plus de quinze participants à la fois. « On ne veut pas faire les choses en mode touristes japonais qui débarquent en autocar ».

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Lors de ce voyage particulier, les Français qui le souhaitent « visitent des musées et des zones fréquemment bombardées », nous informe-t-elle. « En fait, c’est comme une visite guidée de n’importe quel pays, le côté visite sur le front en plus ! » Les guides, avec l’aval du ministère de la Défense local autoproclamé, conduisent les voyageurs dans les parties dangereuses de la ville : près de l’aéroport, du district de Kieskii et dans les villages de Zaïtsevo ou de Spartak.

Les consignes de sécurités sont les mêmes pour les visiteurs que pour les journalistes et les humanitaires que Christelle emmène sur ces lieux. « On a des gilets pare-éclats et des casques dans le coffre, au cas où. L’armée sur place est toujours prévenue pour pouvoir nous évacuer en cas d’urgence ». Les militaires sont particulièrement vigilants concernant la sécurité des étrangers, « c’est déjà arrivé, quand on voulait aller à Spartak, que l’on nous déconseille de venir parce que c’était trop dangereux ! », se souvient-elle. Des précautions nécessaires puisque la périphérie de Donetsk est bombardée presque quotidiennement depuis deux ans.

L'aéroport de Donetsk, septembre 2016. (photo Joao Bolan/8e étage)
L’aéroport de Donetsk, septembre 2016. (Photo Joao Bolan/8e étage)

« CE SONT DES ACTIVISTES, DES GENS QUI SUPPORTENT LA CAUSE DU DONBASS »

Les touristes qui ont pris part au voyage ne sont pas là par hasard. Ils connaissent bien, pour la plupart, le travail de Christelle. « Ce sont des activistes, des gens qui supportent la cause du Donbass, ils relayent nos articles », explique-t-elle en esquissant un sourire. Les voyages organisés par Donipress n’en sont encore qu’à leurs débuts. « Nous avons fait venir des Finlandais pour un premier groupe test cet été. Nous avons attendu d’avoir leurs retours sur cette expérience pour ouvrir le voyage aux Français ». Selon elle, tous ont gardé un souvenir marquant de leur séjour. « Le plus jeune Finlandais avait 22 ans. Ses parents, qui tiennent une ferme, ont des employés ukrainiens et russes. Il discutait beaucoup avec eux et voulait voir ce qui se passe ici. Le voyage l’a chamboulé ».

Au mois d’octobre, trois Français sont venus à Donetsk pour la seconde édition du projet. Parmi eux, Vladimir Tchernine, qui a quitté la patrie des tsars pour la France il y a trente-quatre ans. Journaliste retraité, c’est « un ancien de la télévision française et russe », il a « travaillé quelque temps pour Canal+ » puis a été « chroniqueur chez Gildas ». Quand il a entendu parler du projet de Donipress, il a sauté sur l’occasion. Il dit ne plus avoir confiance en la manière dont les médias occidentaux relayent l’information. « J’ai commencé à avoir des doutes sur la presse avec le traitement de la guerre en Irak. Avant, la France était mon pays chéri. Mais dans le conflit ukrainien, le gouvernement français a carrément pris parti. Je parle de nos mamoushi (NDLR, nos hommes politiques). »

De son premier jour dans la « République populaire de Donetsk (RPD) » autoproclamée, Vladimir se souvient de deux choses en particulier. Le froid glacial et le meurtre du chef de guerre Motorola. « Il venait de se faire assassiner. J’ai proposé lors du diner de boire à sa santé, avec un toast en russe. Le lendemain, il y avait son enterrement. C’était assez grandiose ». Motorola, héros du nouvel état, était le commandant adulé du bataillon Sparta. Une unité qui tient notamment la position stratégique de l’aéroport de Donetsk. Il a été tué fin octobre, par un piège explosif posé dans son immeuble.

Le drapeau du chef de guerre Motorola, de son vrai nom Arsen Pavlov, flotte au-dessus des décombres de l'aéroport de Donetsk. (photo Joao Bolan/8e étage)
Le drapeau du chef de guerre Motorola, de son vrai nom Arsen Pavlov, flotte au-dessus des décombres de l’aéroport de Donetsk. (Photo Joao Bolan/8e étage)

TABLEAU DE LA VIE QUOTIDIENNE DES CIVILS DE DONETSK

Christelle Néant est heureuse de s’être installée dans la nouvelle capitale. « Donetsk est une belle ville, très agréable avec ses espaces verts. » C’est cette fresque slave qu’elle montre aussi aux Français qui viennent. Elle leur fait partager toutes les expériences de la vie des citoyens. Si la rivière Kalmious est bordée de bosquets et de parcs, dans certains quartiers, le contraste est saisissant tant les habitations ont été bombardées.

Encore aujourd’hui, Vladimir reste choqué par sa visite du quartier de la gare. « Si je réalisais un film sur la Seconde Guerre mondiale, je prendrais cet endroit comme décor, parce que tout y est. Les bâtiments sans fenêtres, les valises à l’abandon, les kiosques en miettes… Quand la gare a été bombardée, c’était bourré de monde, il parait… C’est impressionnant de voir un symbole du monde capitaliste aussi détruit ». L’homme est révolté qu’à trois heures d’avion de Paris, une telle désolation existe.

Il raconte avoir vu « trois hommes cherchant à réparer les toits de maisons inhabitables. Ils ont mis des sacs de sable pour protéger et isoler ». Triste retour dans le temps, qui lui donne le sentiment de revivre l’histoire du siècle passé. « Il y a des babouchkas qui ramassent des trucs en bois pour chauffer leur maison… ». Il a assisté à des scènes tragi-comiques comme la fois où il « a vu une femme avec un petit troupeau de chèvres. Je ne comprends pas où ils créchaient parce que tout était détruit. »

(photo Joao Bolan/8e étage)
(Photo Joao Bolan/8e étage)

Vladimir Tchernine et son groupe ont parfois eu des difficultés pour circuler du fait de la militarisation de certaines zones. « Une fois, on n’a eu l’interdiction de passer dans une rue en raison de la présence de snipers », raconte à mi-voix le Franco-Russe, visiblement assez impressionné. Les Français ont ensuite découvert avec effroi une autre réalité quotidienne de la vie des civils : les abris en cas de bombardement. « On nous a amenés dans un abri antiatomique ou il y avait des femmes et des enfants, sans aucun mobilier, même pas de chauffage. Du coup, j’ai décidé d’envoyer un peu d’argent. C’est horrible. »

Christelle Néant se réjouit que les Français puissent entrer en contact avec la population. « Les civils sont contents, car ils voient qu’il y a des gens qui s’intéressent à leur sort. Quand ils voient des Européens qui s’inquiètent pour eux et qui prennent sur leurs deniers personnels pour voir ce qui se passe ici, ils se disent qu’ils ne sont pas oubliés par le reste du monde… Ça les touche ! »

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La jeune femme, récemment devenue « citoyenne » de la ville de Donetsk, dit avoir reçu de nombreuses demandes pour de prochains séjours. « Il y a beaucoup de gens intéressés. On mettra en place d’autres voyages similaires. Plusieurs personnes m’ont dit qu’elles viendraient si on en organisait un autre en 2017. » Les prix sont assez raisonnables, précise-t-elle : « pour un peu plus de 300 euros la semaine, plus le prix du billet d’avion et du visa russe », il est possible de visiter de façon encadrée une zone de guerre.

Ce programme est aussi pour Christelle une occasion de faire entendre « sa vérité » — qui diffère sensiblement de celle observée à de multiples reprises par nos journalistes sur le terrain — et celle de son organe de presse : « Si on écoute certains médias, ici les gens sont tenus en otage par un gouvernement de terroristes, voyez vous-même, les gens vivent normalement ! »

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